samedi, mars 23, 2013

Discours prononcé par Georges GRATIANT, Maire du Lamentin aux obsèques de :




Suzanne, Eulalie, MARIE-CALIXTE
24 ans, couturière, quartier « Florinde »

Marcellin, Alexandre, LAURENCINE
21 ans, ouvrier agricole à « Roches Carrées »

Edouard VALIDE
26 ans, ouvrier agricole à « Roches Carrées »

Tous trois tués au Lamentin le Vendredi 24 mars 1961, fusillés par les forces de répression.
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Au nom de l’ordre et de la force publique, au nom de l’autorité qui nous régente, au nom de la loi et au nom de la France, une poignée d’assassins en armes vient de creuser trois tombes d’un coup dans notre sol Lamentinois.

Crime plein de lâcheté et plein d’horreur !

Crime policier, crime raciste, crime politique.

Policier certes, parce que pas une main civile n’a commis en cette nuit du Vendredi 24 Mars 1961 le moindre geste meurtrier.

Crime raciste certes, même quand des valets de notre sang, de notre race, au service à la fois de la force et de l’argent, trahissent leur sang, trahissent leur race, pour se faire vils et dociles assassins.

Crime politique certes, parce qu’il fut organisé pour et par les forces d’oppression capitalistes et colonialistes et qu’il s’est commis au grand détriment de familles ouvrières des plus humbles mais des plus dignes.

Vingt-et-un blessés et trois cadavres, voici le bilan de cette nuit tragique, de ces minutes de rage policière.
Nous mesurons alors le poids du mépris des meurtriers en uniformes et nous savons aujourd’hui encore mieux qu’hier le peu de poids que pèsent dans la balance de l’Etat Français les vies humaines, lorsque ces vies-là sont celles des nègres de chez nous.

Le plus féroce des meurtriers, fut-il fusil au poing, mitraillette au côté, chasse de la voix le chien qui devant sa porte approche, pour l’avenir des sévices qu’il encourt.

Ici, les assassins officiels- sans crier gare- couchent sur le sol en deux salves sanglantes, des hommes, des femmes, qui ont commis la faute de ne pas être contents d’avoir été si longtemps trompés, abusés, exploités.

Qui veut du pain aura du plomb au nom de la loi, au nom de la force, au nom de la France, au nom de la force de la loi qui vient de France.

Pour nous le pain n’est qu’un droit, pour eux le plomb c’est un devoir.

Et dans l’histoire des peuples noirs, toujours a tort qui veut du pain et a raison qui donne du plomb.

Ainsi vont les choses pour nous les noirs.
De mal en pis elles vont, les choses.

Pour que les cris des peuples noirs, ceux de l’Afrique, ceux du Congo, ceux de Cayenne et ceux d’ici, ne puissent s’unir en une seule voix dont les échos feront un jour éclater l’avenir en gros morceaux de joie, de tendresse et d’amour, feront s’évaporer la haine, la domination et la servilité, feront pleuvoir du bonheur pour les pauvres, pour que les échos de cette immense voix des travailleurs de toutes les races, unis, égaux, en droits, ne puissent résonner à l’unisson, on étrangle, on enferme et l’on tue .

Dans  les lambeaux de quel drapeau vont se cacher pour palpiter les principes humains de la morale française ?

Sous les plis de quelle bannière va se tapir la charité chrétienne ?

- Répondez, citoyens, camarades, répondez, vous que le plomb tient aux entrailles et qui râlez à l’hôpital.
- Répondez, vous que les balles assassines ont couchés dans le silence.
- Répondez, vous trois qui avez passé vos brèves années dans le culte du travail et de dieu.

Réponds- moi Suzanne MARIE-CALIXTE, belle et forte camarade, toi qui pendant tes 24 années passées sur terre, as cultivé l’amour de ta mère et de ta grand’mère, l’amour des tiens, l’amour de Dieu, de tes prochains.
Dis-moi quelle dernière prière tu venais d’adresser à ton Seigneur dans son Eglise que tu quittais à peine, quand les gendarmes firent entrer la mort par un grand trou dans ton aisselle, à coups de mitrailleuses.
Et si ton Dieu t’accueille au ciel, tu lui diras comment les choses se sont passées.

Tu lui diras qu’Alexandre LAURENCINE ici présent avait seulement 21 ans.
Qu’il s’est couché sur le pavé et que c’est là, face contre terre, qu’il fut tiré et qu’il fut tué, déjà couché, prêt au tombeau.
Tu lui diras que son papa s’était baissé pour l’embrasser et qu’à la main il fut blessé.

Tu lui diras jeune fille, qu’Edouard VALIDE garçon tranquille de 26 ans, donnait le dos aux assaillants, et qu’à la nuque il fut atteint et que sa tête de part en part  fut traversée.

Tu lui diras que des Français forment ici une gestapo qui assassine dans le dos
- au nom de la loi, au nom de la force,
- au nom de l’ordre, au nom de la France
- au nom de l’ordre qui vient de France.

Vous trois, amis, dont la police et la gendarmerie ont cru utile et agréable d’ouvrir les tombes à coups de fusil, vous trois dont les mains étaient vides comme vos poches et votre ventre, vous trois dont la tête était pleine de tracasseries et de soucis, de manque d’argent et de malheur, vous trois dont le cœur était plein d’espoir et d’amour sachez que votre sang a fécondé le sol de votre ville pour que se lèvent des milliers de bras qui sauront un jour honorer votre martyre, dans la paix, dans la raison et dans la liberté.

Vos noms rejoignent glorieusement
 - Ceux du François de 1900,
 - Ceux du Carbet de 1948,

Et tous ceux qui pour les mêmes raisons, sont les victimes du plus fort et de la trahison.
Au nom de l’Edilité de votre ville, au nom de tout un peuple de Travailleurs, je m’incline avec piété devant vos trois cercueils et je salue affectueusement vos familles dans la douleur.

Puisse votre souvenir illuminer nos luttes à venir qui seront dures certes-ici vos bières nous l’indiquent à suffire-mais qui seront, nos luttes, assurément victorieuses.
Car nous sommes tous avec vous trois par votre sang, par notre honneur, liés, pour la raison contre la trahison, dans le courage contre la lâcheté dans l’amour contre la haine, pour la liberté contre la servilité, pour la fraternité des peuples contre le racisme, pour la paix et le bonheur universels contre l’égoïsme cruel de quelques uns.

Fiers et Chers Camarades, Adieu !



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