lundi, mai 30, 2011

Vertières vandalisé


Le 18 novembre 1803 s’est déroulé dans la colonie française de Saint Domingue, la bataille de Vertières opposant les troupes du général Rochambeau à ceux du général  Jean-Jacques Dessalines, un homme né esclaves, avec l’aide la 9 e brigade commandée par François  Capois, obligeant Rochambeau à capituler.

Un monument  dédié aux Héros de Vertières, mais il y a quelques mois, la statue a été outragée, les épées de héros ont été sciées.















Edward Saïd (1935-2003), père fondateur de la pensée postcoloniale


Edward Saïd (1935-2003)
Né à Jérusalem en 1935, exilé à l’âge de 12 ans en Égypte – il est l’un de ces huit cent mille Palestiniens expulsés en 1948 – puis aux États-Unis à l’âge de 16 ans, Edward Saïd est mort à New York d’une leucémie, le 25 septembre 2003. Militant de la cause palestinienne et brillant intellectuel bénéficiant d’une véritable audience et d’une renommée internationales, Edward Saïd a consacré sa vie entière à la littérature comparée à l’Université de Columbia, à l’écriture et à la politique.
Auteur d’une vingtaine de livres, il est surtout connu pour son ouvrage, de retentissement mondial, intitulé "L’Orientalisme, L’Orient créé par l’Occident", paru en 1978. Ce livre, qui constitue un tournant dans les sciences humaines, est également présenté comme le point de départ des "Post-Colonial Studies". Il s’agit de ces études transdisciplinaires à multiples entrées visant, d’une part, à déconstruire systématiquement le discours colonial en contestant son hégémonie et, d’autre part, en redonnant une place propre à l’histoire et à la culture des pays ex-colonisés.
L’orientalisme, une construction en vue d’une domination
Dans "L’Orientalisme", à travers la relecture des textes classiques, Saïd montre comment les savants « bardés d’inébranlables maximes abstraites » et les poètes occidentaux ont construit, à partir de la fin du XVIIe siècle, l’image d’un Orient mythique et obscur, une antithèse des Lumières, prête à l’exercice direct et indirect de la domination occidentale.« Ils formulaient un savoir en vue de justifier un pouvoir », dit justement Homi Bhabha. C’est bien de cela qu’il s’agit. C’est « un nœud de savoir et de pouvoir qui crée en un sens l’Orient, l’Oriental et son monde », note Saïd.
L’objet d’étude de Saïd est "l’Orientalisme" en tant que représentation induite par l’occident lui-même. « Mon analyse du texte orientaliste met l’accent sur le témoignage, nullement invisible, donné par ces représentations en tant que représentations, non en tant que descriptions "naturelle" de l’Orient ». Il s’agit pour Saïd d’un système de représentation dans lequel les puissances occidentales ont, au fil des siècles, enfermé l’Orient.
C’est un véritable pavé dans la mare des savoirs académiques que lance Saïd. Dans son analyse de la déconstruction de l’Orientalisme, Saïd se réfère à Michel Foucault (1926-1984) pour sa notion de « discours » et à Antonio Gramsci (1891-1937) pour l’idée d’« hégémonie culturelle ». On sait que pour Gramsci, le langage et la culture sont saturés de sens et d’intentionnalité politiques. Mais son inspiration la plus marquante, souligne Homi Bhabha, lui vient de Giambattista Vico (1668-1744). « Le début de l’orientalisme est une méditation sur la pensée de ce dernier et sur l’idée que la construction du savoir n’est pas seulement une libre enquête, mais une pratique contrainte par des préjugés, des institutions et du pouvoir » (Homi Bhabha, Entretien, Sciences Humaines, n° 1831, juin 2007).
On comprend pourquoi "l’Orientalisme" est systématiquement présenté comme le point de départ des "Post-Colonial Studies".


Sortir de l’ornière de la pensée binaire 



L’analyse de l’orientalisme comme système de pensée et de représentation n’accordant aucune place à l’Autre, en le renvoyant dans les marges, pousse Saïd à s’interroger sur la pensée binaire et à rejeter les visions monolithiques, figées et « essentialistes » des groupes humains. Il s’élève contre la tentation de diviser l’humanité en entités fictives, « nous » et « eux », les « Occidentaux » et les « Orientaux ». Pour Saïd, toutes ces distinctions ne restent pas longtemps les simples constats qu’elles se prétendent au départ. Elles dégénèrent vite en idéologies de séparation, en constructions de murs et de frontières.

D’autre part, note-t-il, « les cultures sont trop imbriquées, leurs parcours trop hybrides et trop dépendants les uns des autres pour que l’on puisse les séparer de manière radicale » En outre, rappelle-t-il, « les langues nationales elles-mêmes ne sont pas là une fois pour toutes, à attendre qu’on s’en serve : il faut se les approprier ». Et « s’agissant du consensus sur l’identité communautaire ou nationale, c’est à l’intellectuel de montrer qu’un groupe n’est pas une entité naturelle, décidée par Dieu, mais un objet construit, manufacturé, voire dans certains cas inventé, avec en arrière-plan une histoire de luttes et de conquêtes qu’il est parfois nécessaire de représenter » (E. Saïd, Des intellectuels et du pouvoir, 1994).
Saïd aimait à se définir – « et pourquoi pas ? », disait-il -, comme « intellectuel juif, palestinien, libanais, arabe et américain ». Car, pour lui, « l’identité humaine est, non seulement ni naturelle ni stable, mais résulte d’une construction intellectuelle, quand elle n’est pas inventée de toutes pièces ». C’est également « le fruit d’une volonté », confiait-il au "Nouvel Observateur" en janvier 1977. Et de poursuivre : « qu’est-ce qui nous empêche, dans cette identité volontaire, de rassembler plusieurs identités ? Moi, je le fais. Être arabe, libanais, palestinien, juif, c’est possible. Quand j’étais jeune, c’était mon monde. On voyageait sans frontières entre l’Égypte, la Palestine, le Liban. Il y avait avec moi à l’école des Italiens, des Juifs espagnols ou égyptiens, des Arméniens. C’était naturel. Je suis de toutes mes forces opposé à cette idée de séparation, d’homogénéité nationale. Pourquoi ne pas ouvrir nos esprits aux autres ? Voilà un vrai projet ».
Porte-voix de la cause palestinienne
Saïd enseignait déjà à l’Université de Columbia lorsqu’éclate la guerre israélo-arabe de 1967, guerre qui lui rappelle avec force son appartenance palestinienne. Installé à New York en 1951 et ayant fréquenté les universités d’élite de Princeton et de Harvard, Saïd se sent également Américain, même si la condition d’exilé est pour lui une douleur. Il est alors poussé à chercher un équilibre entre les deux versants de son être, tout en s’engageant à fond pour la cause palestinienne, parce qu’elle va dans le sens de la justice et de la défense des opprimés.
Les Palestiniens, fait-il remarquer, sont les seuls à qui l’on demande d’oublier leur passé. « Au nom de quoi ? », demande-t-il. Et d’ajouter : « Pour qui se prennent ces gens qui s’arrogent le droit d’occulter ce qu’ils ont fait et, en même temps, se drapent dans le manteau des « survivants » ? N’y a-t-il aucune limite, aucun sens du respect pour les victimes des victimes, aucune barrière pour empêcher Israël de continuer éternellement à revendiquer pour lui le privilège de l’innocence ? » (cité par Mona Cholet, Périphéries, mai 1998)
Saïd, qui a appartenu pendant près de 14 ans au Parlement palestinien en exil (jusqu’en 1991), n’est pas tendre à l’égard d’Israël et de sa politique de mépris destinée à maintenir les Palestiniens dans un état de soumission. Mais ce pourfendeur inlassable du sionisme et de la politique israélienne est également un pourfendeur du négationnisme et de l’antisémitisme, inacceptables et inexcusables en tout temps et en tout lieu, quelles que soient les circonstances. Il fut le premier intellectuel arabe à reconnaître le droit d’Israël à l’existence et à entamer le dialogue. Il n’hésita pas non plus à défendre Salman Rushdie lorsque celui-ci fut la victime, en 1989, d’une fatwa de mort pour blasphème prononcée par l’iman Khomeiny, après la publication de son roman "Les versets sataniques". Il n’a pas été non plus très tendre envers Yasser Arafat qu’il accuse d’incompétence et de corruption, ni envers les dictatures arabes.
Opposé aux accords d’Oslo, Saïd prône « une troisième voie conçue en termes de citoyenneté et non de nationalisme, dans la mesure où la notion de séparation (Oslo) et d’un nationalisme théocratique triomphaliste, qu’il soit juif ou musulman, ne répond ni ne traite des réalités qui nous attendent. Ce concept de citoyenneté implique que tout individu bénéficie d’un même droit, fondé non sur la race ou la religion, mais sur une égalité de justice garantie par la Constitution, concept inconciliable avec la notion largement dépassée d’une Palestine « purifiée » de ses « ennemis » (Le Monde diplomatique, mai 1998).


Adversaire de la thèse du choc des civilisations
C’est en 1991 que Saïd découvre qu’il est atteint d’une leucémie chronique. Il renonce alors à ses activités directement politiques, tout en faisant plusieurs voyages en Palestine et en Israël et, surtout, en se consacrant à l’écriture de son autobiographie, "A contre-voie", paru en 2002. En 1993, Saïd, pianiste lui-même, rencontre dans le hall d’un hôtel de Londres le célèbre pianiste argentin et israélien Daniel Barenboim. De cette rencontre fortuite naîtra une amitié et, surtout, l’une des plus belles initiatives de paix au Proche-Orient : "Le East-West Divan Orchestra (l’orchestre Divan occidental-oriental)" qui rassemble dans des ateliers, des jeunes musiciens arabes et israéliens pour regarder et travailler ensemble dans la même direction. À l’initiative de Saïd, ils feront tous ensemble le voyage à Buchenwald.

Saïd a maintenant assumé ces identités multiples et se reconnaît dans la figure de l’intellectuel en diaspora vivant de plusieurs cultures et entre plusieurs mondes, à l’exemple de nombreux intellectuels et artistes de talent. Pour Saïd, « la conscience d’être chez soi à la fois dans la terre regrettée et dans la terre fréquentée » si elle est parfois difficile à vivre au quotidien procure des avantages certains. L’individu vit chacune de ses cultures à la fois du dedans et du dehors, ce qui lui permet de les examiner d’un regard distancié et critique. Il analyse chaque évènement d’un double point de vue en cherchant à le déconstruire. C’est ce type de regard plus affûté sur les évènements et sur le monde, plus naturel à l’exilé, que l’intellectuel doit s’efforcer d’adopter, dit Saïd. Chargé de « déterrer les vérités oubliées, d’établir les connexions que l’on s’acharne à gommer et d’évoquer des alternatives », l’intellectuel doit ne faire primer aucun attachement, aucun intérêt particulier sur le devoir de vérité.
Penseur brillant, humaniste intransigeant, défenseur farouche de la laïcité, adversaire résolu du « choc des civilisations » et de tout nationalisme, Edward Saïd, comme le souligne Daniel Barenboim « incarnait une rigueur, une intégrité intellectuelle, une exigence de vérité à une époque où prédominent les doubles langages et les doubles discours ».
Reynolds MICHEL
Sources :Edward W. Saïd, L’Orientalisme, L’Orient créé par l’Occident, 1994 (1980), Seuil
Edward Saïd, Des intellectuels et du Pouvoir, Seuil, 1994
Edward W. Saïd, Culture et Impérialisme, Fayard, 2000
Tzvetan Todorov, Edward Saïd, le spectateur exilé, in Le Monde, 16/05/2008
Mona Chollet, L’outsider, Périphéries, mai 1998
Karim Emile Bitar, L’héritage d’Edward Saïd, Politique et Littérature, numéro hors-série, décembre 2003
Leyla Dakhli, Apprendre à s’exiler, La vie des Idées.fr, 12/11/2008




« Loin d’un choc des civilisations préfabriqué, nous devons nous concentrer sur un lent travail en commun de cultures qui se chevauchent, empruntent les unes aux autres et cohabitent de manière bien plus profonde que ne le laissent penser des modes de compréhension réducteurs et inauthentiques ».

Edward Saïd

dimanche, mai 29, 2011

HAITI: LE RETOUR A L'INFAMIE D'AVANT 1946



Le 14 mai dernier a consacré la «marche-arrière» d'Haïti, point. Un triste retour à la réalité qui a prévalu dans le pays avant le « mouvement de 1946 », quand des hommes, à cause de leur épiderme, furent condamnés par l'élite bourgeoise à être des « intouchables » dans leurs propres pays, où ils représentent plus de 95% de la population. Ceci pour dire qu'il y a eu une contradiction profonde entre les pratiques discriminatoires d'avant 1946 et l'idéal égalitaire de Jean Jacques Dessalines introduit dans les mœurs haïtiennes le 1er Janvier 1804. Le mouvement de 1946, quoique kidnappé et détourné par les « noiristes » et les « pragmatiques », s’était fait, il faut le signaler, à titre de simple rectification d’un mal coloriste historique, avec comme principe fondateur «tout homme est un homme ». Cette rectification renvoyait à la question historique et percutante du fondateur d'Haïti: « Et les pauvres nègres dont leurs pères sont en Afrique, n'auront ils donc rien ?». Ceci dit, il n’y a pas à redire de l'essence idéologique progressiste du mouvement de 46 de transformer « la condition humaine ».  


L'accession de Michel Martelly à la présidence met fin à l'illusion nationale et progressiste des années 90, la brève période où le peuple qui chassa la dynastie duvaliérienne du pouvoir en 1986, jouait son rôle historique de faiseur d'histoire en plaçant triomphalement au pouvoir Jean Bertrand Aristide, le prêtre des pauvres. L'expérience n'a duré que sept mois. Le vautour du nord, dans sa gloutonnerie coutumière avait en effet fait appel à ses sbires armés en uniforme. Le résultat fut catastrophique sur le plan humain : plus de 5000 cadavres en trois ans de répression sauvage et des milliers de déplacés, prisonniers, torturés...sans mentionner l'exode massif des cadres techniques et politiques vers les cieux plus cléments des États-Unis d'Amérique et du Canada. Le « retour à la démocratie » organisé en octobre 1994, sous le manteau des Nations Unies, en réalité des Américains, avait été totalement piégé. Le président (légitime) ramené dans les fourgons de l’armée américaine avait les mains et pieds liés; visiblement l'international était aux commandes. Les bourgeois haïtiens gagnèrent encore. Ceux-là qui complotèrent à hauteur de plus de 30 millions de dollars pour la perpétuation et l'exécution du coup d'état de 1991, reçurent des primes pour leurs forfaits. L'USAID avait loué la résidence du leader putschiste, Raoul Cedras, pour la somme de 120.000 dollars américains par an. Aujourd'hui encore, M. Cedras perçoit cet argent après qu'il eut été déclaré « combattant de la liberté » par l'ancien président américain Jimmy Carter en 1997. 

Les bourgeois de souche européenne et arabe qui maintiennent les descendants d'esclaves haïtiens dans une crasse insupportable tout en vivant dans un luxe insolent, ont ouvertement repris du service en Haïti le 14 mai dernier, pour prendre leur ultime revanche. Haïti est parmi les rares pays capitalistes, si ce n'est pas le seul, où les composantes de la classe dominante sont viscéralement contre tout processus de production massive de biens au profit de l'importation à outrance et combat toute tentative de fiscalisation et de réglementation de leurs activités « commerciales ». Les riches ne paient pas en Haïti, ils ne créent pas de jobs non plus ; par contre ils complotent en permanence contre toute expression de changement dans le pays. Ce comportement a conduit le peuple haïtien à vivre dans la honte de deux invasions militaires, suivies d'occupation, en une seule décennie. 

Le dernier coup d’Etat et coup de massue à la volonté populaire a eu lieu en février 2004, l'année même marquant le bicentenaire de l'indépendance nationale. La mafia internationale s’empressa de placer ses pions au pouvoir, des hommes tels que: Gérard Latortue, René Préval et aujourd'hui Michel Martelly. D'où vient ce dernier?
Certains observateurs étrangers, dans leurs interventions, parlent d'un «phénomène Martelly». Il n'y a pas un phénomène politique Martelly en Haïti. Les chiffres ne plaident nullement pour un soi-disant homme extraordinaire. D'ailleurs, le fait d’avoir été élu président avec une infime minorité de la population, soit «15.23% de l'électorat», renvoie à la subconscience le réflexe d' un «petit chef d'état». Les conditions dans lesquelles ces élections ont été organisées sont du reste considérées comme une catastrophe. Sur le plan logistique, quoiqu’ayant eu près de 40 millions de dollars à sa disposition, le conseil électoral provisoire (CEP) a battu tous les records de brigandage aux urnes dans les annales électorales en Haïti, y compris durant l'époque des baïonnettes au 19e siècle. Sur le plan politique, balayant la principale force politique du pays, « Fanmi Lavalas», par des moyens illégaux et honteux, ces élections restent et demeurent une méprisable mascarade. Par-dessus le marché, l'arrogance de l'international à dicter sa loi expose à nu le scandale d'un plan anti-Haïti. 

L'accession de Michel Martelly à la présidence est plutôt le résultat du cynisme singulier de l'international dans ses acrobaties agressives à contrôler l'espace haïtien. Les néo-colons des États-Unis, de la France, du Canada et du Brésil ont tout fait pour préparer la voie à l'émergence de la droite, peu importe l'homme, y compris l'insolent Michel Martelly, crédité de seulement «15.23% de l'électorat». Par contre, il y a des raisons normatives permettant d'expliquer cette marche-arrière politique d'Haïti. 

En premier lieu, c’est l'incohérence flagrante d'une «classe politique» vieillie et fatiguée, d'ailleurs sans projets et enfermée dans une logique stérile de conquête du « pouvoir pour le pouvoir » engendre sa faiblesse et la fait sombrer trop souvent dans la pratique des volte-face (flip-flop). Depuis 2004, ceux qui font de la politique en Haïti abandonné leur raison d'être pour s'aligner totalement sur l'international. Ce qui a étrangement conduit à une uniformité répugnante chez les hommes politiques autour d'un soi-disant «idéal républicain», en chute libre partout dans le monde. Historiquement, il a toujours existé dans le pays un camp national où des gens vivaient encore mûs par l'idéal dessalinien. De nos jours ils sont ridiculisés partout, à l'étranger comme en Haïti. Cette référence indigène qui a toujours préservé l'âme nationale des assauts du «blanc» est en situation difficile et frise même la disparition. 

Il y a aussi l'infantilisme idéologique et politique du secteur se réclamant du «camp progressiste», qui depuis 1986 s'autodétruit en commettant des bévues indignes du militantisme populaire. Mentionnons d'abord le fonctionnement anti-démocratique des cadres politiques de ce secteur, consistant à individualiser les décisions politiques ; comportement dû à un manque de pratiques démocratiques au sein des organisations et l'absence de toute expérience à partir des tâches pratiques. Le militant progressiste perçoit le camarade dirigeant comme un adversaire, parce qu'il n'a jamais reçu au sein d'une organisation l'éducation nécessaire relative à l'importance d'une culture de discipline et de respect vis-à-vis des dirigeants organisationnels. Le cadre politique, jamais intégré dans aucune structure digne de ce nom, se positionne en fonction de ses intérêts et rêves personnels dépourvus d'essence populaire et patriotique, l’éloignant ainsi davantage des vrais militants. Cet état de choses a conduit partiellement à l'échec des expériences de 1991 et de 2004. Le pouvoir n'était pas conçu comme une expérience politique en mutation, pour la première fois entre les mains des masses. Au contraire, il était perçu comme une pratique gouvernementale traditionnelle où les luttes d'influence ont noyé l'aspect fondamental du processus en cours qu'étaient la consolidation du pouvoir et les revendications fondamentales des masses. L'ivresse du pouvoir conduisit à des luttes politiques intestines qui dépassèrent largement, au moins dans sa férocité verbale, l'hostilité à l'endroit des adversaires politiques de droite qui allaient assassiner, faire disparaître et emprisonner sous la torture des milliers de militants en 1991 et en 2004. 

Le gouvernement qui vient de quitter le pouvoir le 14 mai dernier est responsable de la vassalisation de toutes les institutions nationales et de la perpétuation de l'occupation. Sans la présence des forces multinationales, l'ancien président René Preval n'aurait pu terminer son mandat. Aussi, il a accepté sans considération aucune toutes les dictées de l'international en échange de pouvoir conserver le pouvoir après la fin de son mandat, en devenant premier ministre à la manière de Vladimir Putine en Russie et, en plaçant Jude Célestin, son beau-fils, au palais comme président. L’ironie, c'est que l'ancien président n'était pas suffisamment de droite. Aussi, l'international lui a préféré Michel Martelly au détriment du candidat du président sortant. 

L'accession de Martelly au pouvoir est un paradoxe. Arrivé en 3e position après les premiers résultats préliminaires du CEP, le candidat de Repons peyizan bénéficiait de l’intervention de l'ambassadeur américain et des instances internationales qui ont contraint publiquement l'institution électorale à revoir sa copie pour parachuter Martelly au second tour. De mémoire d'analyste politique, je n'ai jamais vu un comportement aussi vulgaire et brutal. Le président actuel a toujours été le valet de la bourgeoisie haïtienne, d'ailleurs il s'en est toujours enorgueilli. Donc, sa prise de pouvoir marque le retour brutal de la réaction aux affaires, cette fois-ci sans intermédiaire. Son premier acte majeur officiel a été la désignation d'un premier ministre. Comme on s'y attendait, il a fait choix d'un commerçant pour diriger le gouvernement, en la personne de Daniel Gérard Rouzier. Comme Martelly, M. Rouzier fut un grand artisan des deux derniers coup d'état dont ont été victime Jean B. Aristide et le peuple haïtien. Voilà qu’aujourd'hui on le présente comme un légaliste et un démocrate convaincu, quelle ironie! 

M. Rouzier se veut un modernisateur qui a réussi dans le business, c'est à dire un grand bourgeois. Cependant, E-power, une petite compagnie d'électricité dotée de 30 mégawatt, créée par le premier ministre désigné au coût de 57 millions de dollars respecte la logique traditionnelle en mettant sa production électrique au service de la « république de Port-au-Prince ». Ne pouvait il pas créer une plus grande compagnie, lorsqu'on considère qu'un bourgeois comme Gilbert Bigio est à la tête d'un empire de plus d'un milliard de dollars à lui seul ? Des amis étrangers éprouvent toujours beaucoup de difficultés à comprendre la logique minimaliste qui anime les élites haïtiennes. Comment est-ce qu’un pays qui s'est imposé à la face du monde comme « mère de toute liberté » a pu produire tant de minimalistes ? Donc, la décentralisation d'Haïti n'est pas pour demain. Transférer le pouvoir politique à la bourgeoisie haïtienne est une aberration dans un pays où la classe dominante a échoué lamentablement. Haïti est un pays d'importation qui dépense plus de 2.727 milliards de dollars américains annuellement pour l'achat de toutes sortes de biens à l'étranger pour la consommation locale. Parallèlement, le pays exporte à l'extérieur pour une bagatelle de 530.2 millions de dollars l'an. 

D'après ce qu'on écrit, « Haïti est une économie de libre marché», donc capitaliste, et il est aussi normal qu'une poignée d'individus s'approprie légalement des richesses du pays. Pour créer ces richesses, les bourgeois ont besoin d'une force de travail qualitative et quantitative. Cela permet à des milliers d'hommes et de femmes de trouver un emploi, d’ailleurs précaire, afin de subvenir maigrement aux besoins de leurs familles : c’est là le seul «avantage» pour les masses. Les richesses d'Haïti sont confisquées par une poignée ne dépassant pas 20 familles, et le taux de chômage touche plus de la moitié de la population. Donc, la classe dominante haïtienne ignore tout de sa mission historique de créer des emplois. Pour la récompenser l'international et l'oligarchie ont décidé de remettre le pouvoir à ses représentants, en la personne de Gérard Rouzier, pour perpétuer davantage le pillage du pays et la paupérisation des masses. 

Dans l’esprit de l'international et de la droite, la stratégie la plus compatible avec leur visées consiste à remettre le pays aux commerçants, surtout avec l'échec constaté de la classe moyenne au pouvoir depuis 1946. Cette nouvelle réalité va propulser les éléments de la classe intermédiaire, exclusivement noire, au bord de l'explosion. Le secteur public qui absorbe une grande majorité d'entre eux n'offre plus de sécurité. Sous prétexte de corruption qui a toujours marqué l'administration publique haïtienne et les pressions du Fonds monétaire international (FMI), le gouvernement va procéder à des révocations massives dans ce secteur. Donc, l'observateur lucide s'attend à un effet de boomerang. Une classe moyenne non-satisfaite, alliée à une masse de pauvres en guenille constitue une équation explosive qui, historiquement a toujours conduit à des changements en profondeur au sein de la société. On s'attend à une radicalisation des revendications populaires contre la gestion des riches. Pour freiner le mouvement, le gouvernement va procéder comme d'habitude à la répression sauvage des mouvements sociaux, déjà l'un des proches de Martelly s'organise dans ce sens. 

D' après des informations dignes de foi qui circulent à Port-au-Prince, la capitale d'Haïti, le bras-droit de Martelly, Roro Nelson, croit qu'il est impossible de diriger Haïti sans avoir recours à une Milice. Pour cela, il est déjà en contact avec les dirigeants de différentes « bases »( groupes criminels) opérant à la capitale en vue de les coopter et de les domestiquer dans le cadre d'un projet de sécurité nationale. Le président lui-même n'a jamais caché son animosité à l'endroit des groupes sociaux et militants de gauche dans le pays. Ses ramifications avec l’extrême-droite pendant la période terrible du premier coup d'état de 1991 sont documentées. Participant à toutes les manifestations de soutien du groupe paramilitaire FRAPPH, il a été d'un grand support aux putschistes militaires en animant les rues avec de la musique et des slogans incendiaires contre le peuple qu'on massacrait. D'après le prêtre progressiste assassiné en 1994, Jean-Marie Vincent, Martelly patrouillait les rues avec les militaires au cours de la nuit à la recherche de militants Lavalas cachés. Il représente la droite brutale dans toute sa laideur. De toute évidence, les riches sont au pouvoir pour de bon!

Joël Léon

On nous l'avait cachée : Loi du 30 avril 1849


Grâce à une loi, votée le 30 avril 1849, la France a indemnisé les esclavagistes ! Pour la Martinique qui comptait alors plus de 74000 esclaves, les békés, propriétaires d'esclaves, ont reçu l'équivalent de 40.000 € actuels par esclave affranchi ! Ce sont les criminels qui ont été indemnisés pas les victimes ! Les ex-esclaves, eux, ont été contraints de retourner travailler sur les habitations, sous peine d'être poursuivis pour "vagabondage" ! Tout cela, grâce à Schoelcher et compagnie ...

Daniel Marie-sainte

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Commentaire : 1

Ils ont aussi indemnisé les princes africains, qui étaient hostiles à la cessation de la traite négrière ! Je suis surpris que les gens feignent de découvrir cela, il faut croire qu'il y a de sérieuses lacunes dans la transmission de l'histoire aux Antilles. Mais que font les professeurs d'histoire ?

EZ

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Commentaire : 2


Pour les comptoirs du Sénégal : 

L'indemnisation fut obtenue pour les comptoirs du Sénégal contre l'avis de Victor Schoelcher qui considérait qu'il n'y avait pas de vrais esclaves là-bas mais un système de caste. À noter que les pseudos esclaves de Gorée et Saint Louis ont touchés des indemnités et des terres à Dakar...enfin dans ce cas là c'était plus une arnaque montée par les mulâtres Goréens et Saint Louisien qu'autre chose..

Il y a eu peu après l'abolition la mise en place du système des "engagés à temps" en zone rurale une forme d'esclavage à temps partiel. Après 1860 me semble t-il.
Il s'agissait bien dans ce cas là pour l'administration coloniale de satisfaire les besoins nouveaux des enteprises coloniales dans ce pays; notamment pour construire l'infrastructure ferroviaire. Les Belges ont fait pire encore au Congo.

Un système dénoncé par les abolitionnistes d'après 1849. Je ne sais si il était appliqué dans les actuels DOM-TOM.

Jean Luc Angrand

dimanche, mai 22, 2011

Discours d'Aimé Césaire lors de l’inauguration de la place du 22 mai à Trénelle, à Fort de France- Martinique


"Schoelcher Philanthrope français libérateur des noirs, j’imagine cette définition de quelque dictionnaire qui eut comblé d’aise gouvernement et préfet. Et en effet, cette phrase résume assez bien le Schoelcher du schoelchérisme officiel.

Car vous le savez depuis quelques temps et pour faire pièce aux partis de gauche qui avaient déterré Schœlcher du grenier poussiéreux où l’avaient relégué les principes de la 3è et 4è république, les officiels de la 5è république véritables imposteurs sont repartis à la conquête de Schoelcher et fêtent Schoelcher à leur manière c’est à dire sans le peuple bien sûr mais avec préfets, généraux et amiraux.

Eh bien ce Schœlcher ce n’est pas le nôtre et je dois à la vérité de dire qu’il n’a avec le vrai Schœlcher qu’un rapport très lointain.

Quant au vrai Schœlcher, si nous pouvions l’interroger aujourd’hui sur son vrai rôle dans l’histoire de l’abolition de l’esclavage, j’imagine bien sa réponse et que sans renier son action, sans taire les épisodes de son combat, il se fut bien gardé de passer sous silence le rôle de ces combattants de l’ombre et de la nuit que furent les nègres marrons et les insurgés nègres.
C’est Schoelcher lui même qui le note. Écoutons Schoelcher : « Il ne s’écoule jamais dix années sans que les noirs ne protestent par quelques violence contre l’état où on les maintient. Voyez à la Martinique seule et sans remonter plus haut que 1811.

En 1811 : révolte
En 1822 : révolte
En 1823 : révolte
En 1831 : révolte, la conjuration générale, elle éclate au cri de 
la liberté et la mort ! En trente ans quatre cinq insurrections de Nègres ! ».

Eh bien ces chiffres ne constituent pas une banale statistique de nature à satisfaire les esprits curieux d’histoire. Ils établissent au contraire un point capital à notre débat et illustre une vérité philosophique et sociologique fondamentale.

Cette vérité je pourrai en demander la formulation à Karl Marx ou à Lénine. Pour la circonstance j’aime mieux la demander à Victor Schoelcher. Écoutons donc Victor Schoelcher :

Depuis qu’il y a eu réunion d’hommes, les opprimés n’ont jamais rien obtenu des oppresseurs que par la force, et si chaque pas de la liberté est marqué de sang, c’est une nécessité qu’il faut reconnaître avec moi, mais dont on ne peut accuser que l’impuissance ou la méchanceté providentielle.

1848 n’a-t-elle pas constitué la divine surprise, la divine exception, à cette loi d’airain et de sang ? Et parler de 1848, n’est-ce pas précisément évoquer une époque particulièrement faste, où par un bonheur inouï, des hommes de conscience auraient, réveillant toute une Nation à la beauté des sentiments altruistes, obtenu d’elle l’abrogation d’un régime colonial inique.
Ce qui aurait dispensé notre peuple d’une action violente et épargné à la société martiniquaise un bain de sang ? Eh bien non ! Dans l’histoire coloniale il n’ y a place ni pour l’idylle ni pour la bucolique ni pour les nuits du 4 août, ni pour les vaines amourettes, et Schœlcher a raison de dire et de penser que, même dans le meilleur des cas, c’est encore et toujours la violence qui est l’accoucheuse de l’histoire. Et c’est pourquoi, malgré le décret du 4 Mars 1848, malgré le décret du 27 avril 1848, il fallait quand même qu’il y eut un 22 mai 1848.

On connaît Ces faits : En février 1848, une révolution éclate à Paris, qui renverse la monarchie de Louis-Philippe. Un gouvernement provisoire est formé dans lequel rentre Victor Schœlcher, et un des premiers actes du Gouvernement ainsi formé est de décider la constitution d’une commission ad hoc, pour préparer l’abolition de l’esclavage. Cela c’est le décret du 4 Mars 1848.La Commission se met au travail et le 27 avril, toujours à l’instigation de Schoelcher, obtient du Gouvernement qu’il publie un second décret : c’est le décret du 27 avril, lequel stipule en son article 1er :"l’esclavage sera entièrement aboli dans toutes les colonies et possessions françaises deux mois après la promulgation du présent décret dans chacune de d’elles". Alors me direz-vous, tout était joué. Eh bien non. tout n’était pas joué.

Encore deux mois à attendre. Que dis-je trois mois, peut-être quatre.Calculez bien : Ce temps que le décret arrive aux colonies et soit promulgué : il faut un mois ; donc cela nous amène à la fin de mai ou à début juin. Deux mois après, cela nous amène au mois d’août.Et c’est bien ce que voulaient les planteurs. Ils s’en cachaient à peine : il y avait une récolte à enlever et il fallait obtenir de la main d’oeuvre servile un dernier service. Tel était le calcul. Schœlcher n’en fait pas mystère :« Tous les planteurs réunis à Paris, écrit-il, suppliaient la Commission de reculer au moins l’abolition définitive jusqu’au mois de juillet pour laisser, disaient-ils, à la récolte le temps de s’achever ».

Attendre juillet Attendre Août ?Et puis qui sait ? Qui sait si à la faveur des événements, on ne pourra revenir sur la mesure d’émancipation prise dans un moment d’euphorie ou d’affolement général ? il faut croire que ce n’était pas mal raisonné puisque dès Mai 1848, la République passe à la réaction et vous connaissez les terribles massacres d’ouvriers qui furent perpétrés par le Général Cavaignac et qui firent des journées de juin 1848 à Paris, une manière de répétition générale des massacres de la semaine sanglante qui marquèrent la fin de la Commune de Paris quelque 23 ans plus tard.

Et alors il est permis de se demander, dans de telles circonstances, et clans une telle ambiance de réaction forcenée, que fut devenue la loi d’émancipation.

Pour ma part, j’ai de bonnes raisons de croire qu’elle aurait été tenue pour lettre morte, sinon purement et simplement abrogée.
Voilà qui suffit à Légitimer l’entrée en scène de nos ancêtres, une scène sur laquelle ils n’avaient pas été invités, en mai 1848.

Spontanéité des masses ? non pas. mais sûr instinct révolutionnaire. Quoi qu’il en soit, dès le décret du 27 avril, une pluie de conseils s’abat sur Ces malheureux, esclaves. Ils avaient attendu deux siècles. Et tous ces conseils rendaient le même son, répétait jusqu’à satiété le même leitmotiv : if faut attendre, il faut patienter. Patientez, leur avait dit le Ministre Arago Patientez, leur répétait Perrinon en termes, il faut bien le dire, assez niais : « Aux noirs nous recommandons la confiance dans les blancs. A ceux-ci la confiance dans les noirs ; à toutes les classes, la confiance dans le gouvernement. Patience, espérance, union, ordre et travail, c’est ce que je vous recommande »

Husson, Directeur de l’Intérieur à la Martinique "Vous avez bien appris la bonne nouvelle qui vient d’arriver de ’France, Elle est bien vraie. La liberté va venir. Ce sont de bons maîtres qui l’ont demandée pour vous. Mais il faut que la république ait le temps de faire la loi de liberté. Ainsi rien n’est changé jusqu’à présent. Vous demeurez esclaves jusqu’à la promulgation de la loi " Mes amis ayez confiance et patience".

Mais les nègres de la Martinique en décidèrent autrement. Ils avaient attendu deux siècles. Ils jurèrent de ne pas attendre une seconde de plus. (... ) Le 22 Mai 1848 à Saint-Pierre la population esclave se soulève. (...) Le Gouverneur Rostoland cette fois ci comprend et ce fut l’arrêté du 23 Mai 1848.

Le 22 mai 1848 à Saint-Pierre la population esclave se soulève, occupe la ville, incendie l’habitation des Abbayes, livre de sanglants combats au cours desquels 35 personnes trouvent la mort... Le Gouverneur Rostoland cette fois ci comprend et ce fut l’arrêté du 23 mai 1848 : article 1er : L’esclavage est aboli à partir de ce jour à la Martinique.

Eh bien, martiniquais et Martiniquaises, voilà l’événement que nous célébrons aujourd’hui et que commémore la statue émouvante de René corail : une liberté non pas octroyée mais arrachée de haute Lutte ;

Une émancipation non pas concédée mais conquise, et qui enseigne à tous et d’abord aux martiniquais eux-mêmes, que s’il est vrai que la Martinique est une poussière, il y a cependant des poussières habitées par des hommes, qui méritent pleinement le nom d’hommeset cette assurance voyez-vous, est de celles qui nous autorisent à regarder le présent avec plus de fermeté et de toiser l’avenir avec plus d’insolence.

Regarder le présent avec plus de fermeté et toiser l’avenir avec plus d’insolence. Et maintenant regardez la statue de René Corail : c’est une femme, une négresse, peut-être la Martinique, qui, soutenant son enfant blessé d’une main, peut-être son enfant mort, brandit de l’autre main une arme, elle ne pleure pas, elle bat.

Regardez et souvenez-vous des autres statues de la liberté que vous avez vues et qui commémorent le même événement. rappelez-vous la statue de Schoelcher qui est devant le Palais justice de Fort-de-France : c’est une jeune fille dont les chaînes viennent de tomber et qui envoie un baiser de reconnaissance à son libérateur Victor Schoelcher Lequel d’une main l’enveloppe d’un grand geste paternel plein de bonté et l’autre lui montre le chemin.

L’oeuvre est assez belle. Mais retenez l’inspiration : C’est l’oeuvre d’un blanc. Et puis il y a une autre statue : C’est un bronze d’assez belle facture appartient à la mairie de Fort-de-France. Elle représente un nègre tordu de douleur dont la (France, en un geste violent, vient de rompre les fers dont elle brandit victorieusement les morceaux. Oeuvre déclamatoire peut-être, mais qui n’est pas sans puissance. Mais ici encore : retenez l’inspiration. C’est l’oeuvre d’un blanc et qui à sa manière est à la gloire du blanc libérateur.

Et puis maintenant comparez la statue de René Corail, artiste martiniquais. Ici le nègre n’est plus l’objet, il est le sujet. Il ne reçoit plus la liberté Il la prend et on nous le montre la prenant. Une grande négresse , larme à la main, maniant son arme, comme ses ancêtres la sagaie. Eh bien cela, c’est la vision martiniquaise de la libération des nègres Et seul un Nègre pouvait l’avoir. Et c’est parce que René-Corail la rendue, cette vision, avec fougue et éclat que je salue en lui" un grand artiste nègre et un grand sculpteur antillais.

Martiniquais et Martiniquaises,nous n’avons guère à la municipalité de Fort-de-France, l’habitude des inaugurations. Eut-il fallu en faire, il aurait fallu les multiplier et c’eut été vous prendre beaucoup de votre temps et de votre attention. C’est pourquoi je profite de l’inauguration de la statue de René-Corail pour porter à votre connaissance, deux décisions de votre Conseil Municipal ; deux décisions qui comme la loi le veut, prendront effet dans une quinzaine de jours. La première est de donner à la place sur laquelle nous sommes aujourd’hui, le nom de place du 22 mai.

La dernière est - et je vous demande d’y faire attention - de donner à la rue qui aboutit à cette place, en venant de Trénelle, le nom de Gérard Nouvet, Ce jeune lycéen, martyr qui est tombé sous les balles ou sous la grenade de la police lors du voyage de Messmer. Quel rapport me direz-vous, avec le 22 Mai 1848 ? Quel rapport avec Victor Schoelcher ?Eh bien je le dis tout net :Gérard Nouvet prend désormais place dans le long martyrologue de notre peuple, à côté des Martiniquais et des Martiniquaises tombés au cours des siècles, victimes du colonialisme et du sadisme policier. Et comme pour le venger, il y a toute une jeunesse, il y a pour accuser les bourreaux aujourd’hui comme hier, la voix de Victor Schoelcher. Écoutons le une fois de plus :"Envers les masses comme envers les individus, la meilleure voie pour gagner les coeurs est la persuasion. De la blessure d’une baïonnette gouvernementale jaillit une source de vengeance. Monte et malédiction à ceux qui l’oublient. " Puisse Terrade entendre ! Puisse Terrade comprendre !

Martiniquais et Martiniquaises :
Nous voilà donc devant cette statue de la liberté martiniquaise. Voyez où elle est placée : aux confluents de trois rues au bout de la rue Jean-Jacques Rousseau au bout du Boulevard Patrice Lumumba au bout de fa rue Gérard Nouvet Trois rues, trois symboles :
- Jean-Jacques Rousseau : Pensée révolutionnaire
- Patrice Lumumba . L’action révolutionnaire anticolonialiste
- Gérard Nouvet : La jeunesse martyre, victime des exactions colonialistes

Et c’est vrai toutes ces voies :la pensée honnête, donc révolutionnaire ; L’action courageuse ;Le martyr innocent résument toute fraîche innocence d’un peuple.

Tout cela mène à une même paie la liberté. La liberté martiniquaise. C’est donc en cette place, en ce point de convergence qu’il convient plus que jamais de crier, en ce 22 Mai 1971, avec toute notre foi et toute notre certitude : vive la Martinique !

Pour ce 22 mai en Martinique

Monument de l'Anse Caffard : photo Évariste Zephyrin


Pour ce 22 mai date de la commémoration de l’abolition de l’esclavage à la Martinique, si j’ai une pensée pour le peuple martiniquais, une pensée pour mes compatriotes en ce jour si particulier, qui nous renvoie à l'histoire, au passé traumatisant de naguère,  elle se concrétiserait  dans cette phrase : « Brise tes chaînes, sois libre de tes choix et de tes déterminations, libère-toi de tes peurs afin d’entrer de plain-pied  dans ce millénaire, fier et debout,  sois fier comme le jour où nos ancêtres ont arraché leur liberté où ils ont défait les chaînes de l’esclavage ! »                                                                                                  


Tony Mardaye

COMMEMORER L'ESCLAVAGE ET SON ABOLITION


« PASSÉ » ET « PRÉSENT »

« Mais où sont-ils donc les enfants de ces mulâtres que nous pendions si joyeusement autrefois? Comment se fait-il que nous vivions en ce moment si eux vivent encore? Ne prennent-ils pas leur revanche? Ils n'ont donc ni coeur ni entrailles! Etc. »

Cette citation est extraite de la pétition rédigée le 12 octobre 1870 par un Blanc de la Martinique - qui signe Comte Emmanuel de Lagrange De Lavernais - pour demander la grâce des chefs révoltés de l'Insurrection du Sud de 1870, condamnés à mort... Ces propos qu'il dénonce ont été tenus par d'anciens colons lors d'un festin auquel il a été invité sur l'habitation Basse-Pointe. Paroles de vérité, d'autant plus séditieuses qu'elles viennent d'un Blanc; il les paya bien sûr : au mois de novembre il est arrêté une première fois mais plus de trois mille personnes de Saint-Pierre et des environs se rassemblent et bravent les tirs des gendarmes pour obtenir sa libération. Le gouvernement recule et attend 6 mois. Le 3 mai 1871, l'état de siège est proclamé à Saint-Pierre, Lagrange est arrêté dans la nuit et expulsé au petit matin.

Dans cette pétition reproduite par Gilbert Pago dans sa récente publication, L'Insurrection de Martiniquei, l'auteur De Lagrange poursuit en répondant à la question des anciens colons : «  Eh bien! Messieurs du passé, les enfants de ces Mulâtres égorgés autrefois au son des tambourins, ce sont les révoltés d'aujourd'hui, les hommes de l'Avenir... »

« Autrefois » … « Aujourd'hui » … « l'Avenir... » Il ne viendrait à l'esprit de personne, alors, de tenter d'ériger un mur infranchissable, ni des portes hermétiquement et définitivement closes entre le passé, le présent et même le futur.
Les nostalgiques de l'esclavage comme ce Français éclairé prêt à payer de son sang et de sa liberté le droit de parler au nom des malheureux s'accordent tous sur un fait : l'Insurrection du Sud ne peut être comprise que si on l'inscrit dans la continuité de la société esclavagiste. Mais il ne s'agit pas simplement de vengeance. Si l'explosion a lieu en Septembre 1870, ce n'est pas en souvenir des souffrances subies par le passé, c'est beaucoup plus en réaction à la persistance dans le présent des injustices sur lesquelles reposait l'esclavage. Ainsi à l'origine des événements de 1870 à la Martinique il y a d'abord le même racisme, la même discrimination envers les Noirs – Mulâtres compris – à laquelle ces derniers avaient été habitués dans un temps supposé révolu mais qui subsistait à travers la séparation des « races », les inégalités et la discrimination des Blancs (propriétaires, usiniers, agents de l'administaration) envers les « non-Blancs ». Ce n'est donc pas tant le passé esclavagiste (le passé est effectivement passé) que ses survivances dans le présent qui posent problème.

Il faut tordre le cou à cette idée qui voudrait que s'intéresser au passé signifie forcément en être esclave, être incapable de vivre au présent et de regarder l'avenir. Imaginez un individu, vous... sans connaissance de son passé, imaginez un aveugle (de naissance)... Nécessaire dépendance...

Commémorer c'est certainement construire, reconstruire une mémoire. C'est et ce doit être de plus en plus mettre en lumière les fils qui nous relient au passé, interroger le passé pour mieux comprendre les problématiques de nos sociétés actuelles ou l'inverse : comprendre les problématiques du passé pour mieux interroger les dynamiques du présent.

Ainsi, Mai 1848 ne peut être considéré simplement comme une rupture. Il n'y a pas eu un 22 ou un 23 Mai qui a brutalement mis fin à l'esclavage. C'est davantage une direction qui est donnée, une nouvelle étape avec de nouveaux objectifs.
Bien sûr le soulèvement des esclaves de mai 1848  a permis d'accélérer la suppression dans la loide plusieurs attentats contre l'humanité des Noirs : Abolition du travail servile, de la séparation des races, de la supériorité des Blancs et l'infériorité des Mulâtres et des Noirs. Commémorer c'est évidemment rappeler à la conscience que cette conquête n'a pas été aisée : Son principe n'a pas été gagné en France par la simple proclamation de la République, il a encore fallu la bataille acharnée d'une fraction éclairée conduite par Schoelcher contre un puissant courant conservateur qui retrouvera assez vite sa superbe. Il a fallu le souvenir de 1804, la mémoire d'Haiti et toutes les révoltes d'esclaves dans les îles.

Mais au-delà du discours héroïque qui fut nécessaire face au déni absolu de la part prise par les esclaves dans la lutte contre l'esclavage, commémorer l'abolition doit aussi être l'occasion de rappeler que la loi, le principe sont une chose et que le passage à l'acte, la transcription dans la réalité en est une autre. Celle-ci n'est jamais acquise en un jour, elle ne l'est jamais définitivement. Elle résullte des rapports de forces, de l'intelligence de la situation, de la capacité à agir ensemble dans la bonne direction, dans le concret et dans la durée.

En 1870, 22 ans après le décret d'abolition et la proclamation de la fin de la discrimination, les nostalgiques de l'esclavage avaient réussi à vider de leur sens les mots liberté et égalité : ils avaient finalement conservé ou récupéré une grande partie de ce qui avait été menacé en 1848. La République (des propriétaires) avait permis l'expulsion des anciens esclaves des cases avec leurs vieillards et infirmes s'ils ne reprenaient pas leur travail d'esclave sur l'habitation où ils avaient été esclaves. Les choses n'ont fait qu'empirer ensuite : l'instauration du passe-port a permis de limiter les déplacements intérieurs; la fermeture en grand nombre des écoles et la suppression de la gratuité ont ramené à la canne les fils de nègres. Anciens et nouveaux libres, anciens esclaves et nouveaux « travailleurs sous contrat » subissent le même racisme que sous l'esclavage. Lubin d'abord, puis les dizaines de tués d'expulsés, d'emprisonnés et de traumatisés en font les frais.

70 ans plus tard, à l'occasion de la mise en place du régime de Vichy, le scénario n'est pas très différent; la société martiniquaise est toujours rongée par les mêmes contradictions, les mêmes affrontements sourds, les mêmes clivages. L'une des premières mesures du gouverneur Nicol an tan Robè, aura été de casser les Conseils municipaux élus au suffrage universel et de nommer 8 maires békés (Carbet, Diamant, Ducos, FDF, Lamentin, Saint-Joseph, Saint-Pierre et Trinité). Sur 32 maires, 25 sont liés aux secteurs agricole, rhumier et sucrier... Les békés saluent (Bulletin hebdomadaire du 22/01/41) « le gouvernement rédempteur du Maréchal (…)» c'est-à-dire celui qui rétablit la hiérarchie naturelle et l'ordre traditionnel de la colonie. Bien sûr, il n'y a pas - heureusement - unanimité dans le groupe. Quelques uns se sont très tôt opposés au régime collaborationniste notamment les 4 Michel de Reynal internés en juillet 1941, mais la majorité n'hésite pas à afficher son soutien dans la presse au moins jusqu'au début 1943 en rappellant ainsi à quel point « la fusion des races » prônée par la Commission d'abolition en 1848 est loin d'être réalité.
A quel point en sommes nous? Les propos entendus en 2009, ont choqué – brutal retour au passé ou au présent qu'on échoue à vouloir oublier ?

Le tableau est forcément schématique, rapide. Simple évocation très incomplète d'une histoire méconnue, d'un parcours dont trop de zones restent dans l'ombre... Ne pas être esclave du passé, c'est aussi faire la lumière, voir et enfin être en mesure d'inscrire ses pas dans la direction dictée par une conscience éclairée.

Mai 2011, Richard Chateau-Degat