mercredi, décembre 12, 2007

L’histoire des Indiens dans les Amériques françaises à la fin du XVII e et XVIII e siècle, ainsi que leur relation par rapport au droit.


L’image de l’Indien, telle qu’elle fut véhiculée par les chroniqueurs, les gazettes, ainsi que par les correspondances privées, c’est-à-dire par les vainqueurs, par ces hommes qui se prétendirent, irrévocablement, porteurs de la « seule » foi et de la « seule » civilisation, dépeint un être impitoyable, féroce, sanguinaire et cannibale : « Ces terres qu’on appelle Nations Alouagues, lesquels sont continuelles guerre contre les Barbares Galibis et nos Sarazins ou cruels Sauvages Caraïbes : guerre entre ces infidèles si étrange et inhumaine que, se prenant les uns ou les autres dans l’attaque, c’est grand bonheur quand on ne sert point de curée et que l’on n’est point mangé des vainqueurs, vu que ces idolâtres tirent avantage de se gorger de leurs ennemis et de dévorer leur chair comme la viande la plus délicate du monde, après l’avoir boucanée et grillée vive sur les charbons, dans une assemblée solennelle.» Et pour toute une génération d’antillais, (qui dans une perspective historique, généalogique et culturelle est liée de manière directe à cette population.) la connaissance de la nation indienne, ne se résume qu’à une série d’images force, se traduisant par celle d’une : résistance farouche des Caraïbes à la colonisation, leurs suicides collectifs en se précipitant du haut des falaises, quand ils furent acculés et leur anthropophagie « supposée ou réelle » d’où, la persistance dans l’inconscient de ces images tronquées, inhérentes à la Découverte des Indes Occidentales, relayées par les Chroniqueurs et perpétuées par les livres d’histoire : du méchant Caraïbe et accessoirement, celui du bon Arawak ; perçu à tort ou à raison, comme un être craintif, doux et hospitalier. Ce que semble démentir Rochefort dans sa relation des isles de Tabago : « Cette île était autrefois possédée par les Caraïbes de même que les autres Antilles de l’Amérique, mais il y a environ un siècle, qu’ils ont abandonné tout les beaux et grands village qu’ils avaient pour se mettre à couvert des irruptions trop fréquentes des Arouagues, leurs ennemis du continent et se retirer à l’isle de Saint Vincent auprès de ceux de leur nation qui y habitent, et en laquelle ils avaient dès lors les principales forces de leur état, de même qu’elle sert à encore à présent de rendez vous à leurs troupes, quand ils ont résolu de faire des descentes dans les terres des mêmes Arouagues, avec lesquels ils ont une guerre immortelle.» A la lecture de l’extrait de la Relation de l’isle de Tabago, l’image du pacifique Arouague se trouve un peu écornée.

Mais, nous est-il loisible de confiner le passé de la nation indienne, uniquement à une posture « victimisante » où les désagréments de l’histoire, semblent le cantonner ? Ne pouvons-nous imaginer, que même dans le contexte d’oppression extrême, que fut la colonisation et l’Esclavage, la rencontre de l’Indien, du colon et du nègre esclave ait éventuellement pu créer des interactions ? Certes, me direz-vous, ils se sont confrontés la plupart du temps, mais il est possible, qu’ils aient pu vouloir construire un espace de vie commun.

Vous conviendrez qu’à ce stade de l’étude, ces interrogations ne sont que des conjectures ; si on se réfère au postulat colonial affirmant que : tous les non-blancs sont des êtres inférieurs par nature et l’Indien un sauvage, il nous paraît difficile que la rencontre ait pu produire un ferment civilisateur. Mais que l’Indien fût considéré comme un sauvage, il n’en était pas moins homme avec des droits intrinsèques liés à sa personne ou qu’il fût réduit à l’état de bête, à l’instar du nègre esclave (à qui fut dénié toute humanité), il s’insérait tout de même dans un carcan juridique qui régissait sa personne, ses actes et sa volonté.

Dans l’hypothèse que l’Indien fut assimilé à une chose, le droit coutumier féodal, le considérait comme immeuble par destination, puis en 1658, comme meuble ; en 1684, toujours comme meuble, quoique insaisissable. Enfin en 1685, le droit venant sanctionner le fait, le Code Noir en faisait des meubles et leur appliquait la législation en vigueur aux biens mobiliers. Sur ces questions, remarquons tout de même, que la jurisprudence concernant les nègres esclaves, n’a jamais été fixée, jurisprudence qui eut été appliquée aux Indiens, dans l’éventualité qu’ils fussent considérés comme des choses en droit français.

Il s’avérera que notre principale préoccupation, tout au long de cette analyse, sera de connaître de quelle manière, le droit français appréhendait la condition civile de l’Indien. Quel statut juridique s’appliquait à sa personne ? Jouissait-il d’une personnalité civile et morale ? Était-il considéré comme un meuble ou comme un immeuble ou encore, était-il en dehors du droit français ?

Afin de répondre à notre questionnement initial, nous nous intéresserons aux Indiens des grandes et petites Antilles dans un premier temps, ensuite aux relations que les Caraïbes entretinrent avec les colons, puis nous répondrons aux questions juridiques et enfin nous porterons un bref regard sur la situation actuelle des descendants des caraïbes dans les Amériques.

Pour ce faire nous nous référerons aux décisions des Conseils Souverains, aux ordonnances royales et aux lettres ou recommandations ministérielles. En outre, nous nous appuierons sur les textes des chroniqueurs et les ouvrages d’historiens contemporains. Toutefois, une précision s’impose, l’objet de ce mémoire n’a pas pour principal objectif, de retracer la totalité de l’histoire des habitants et les Indiens, dans le contexte de la colonisation des Amériques françaises.

Les Origines à la destruction : les Ciboneys, Arawak et Caraïbes

On suppose que les premiers habitants des Antilles furent les Ciboneys. Il y a sept milles ans, ils se seraient installés sur les côtes vénézuéliennes et par bornage auraient gagné les Grandes Antilles. La découverte de pierres polies en Guadeloupe, fait croire que les Ciboneys auraient pu conquérir les Petites Antilles. Cependant, les fouilles effectuées et les recherches entreprises en Guadeloupe, n’ont jusqu’à présent donné aucun résultat probant.

Ce qui semble établi, les nations indiennes de langues Arawak et Caraïbe ayant peuplé les Grandes et Petites Antilles seraient originaires, soit des confins des Andes à l'Amazonie, soit des îles Caraïbes et d'Amérique Centrale atlantique ; la seconde hypothèse semble faire consensus. Dans ce cas, les migrations se seraient étalées sur des siècles, voire des millénaires, et lors de l’invasion européenne, ces populations auraient reflué vers le continent, trouvant refuge dans la forêt amazonienne.

Dans l’hypothèse que les Indiens soient venus des forêts amazoniennes : « C’est le manioc amer et sa culture qui régissait leurs attitudes. Au moment de quitter cette forêt du continent pour traverser le premier bras de mer qui les séparait de Trinidad, le support culturel existait déjà. Les réalités, qui se greffent à la culture du manioc, les avaient obligées à se rassembler par groupes relativement nombreux, séparés par de larges espaces de forêt, qui permettait l’existence de vastes zones de chasse, dont l’exploitation, par les uns et les autres, était parfaitement définie. » La présence des Arawak est reconnue plus ancienne et plus conséquente dans les îles Caraïbes. Toutefois, nous remarquons que leur système agricole différait de celui décrit précédemment.

Les Arawaks introduisirent un système cultural complexe : la technique du conuco, qui consistait à cultiver sur des monticules de terre rapportée, une association de différentes espèces végétales. Des recherches menées dans les forêts tropicales humides de l'Amérique centrale, ont mis en exergue ce type d'agriculture. Le principe permettait de maintenir la terre humide aérée. Les monticules étaient ceints de canaux d'irrigation, où l'eau et les sédiments provenant des monticules s'y déposaient. Dans ces canaux, ils élevaient des poissons, des écrevisses, tout en cultivant des plantes aquatiques à croissance rapide, riche en azote. A des périodes régulières, les canaux sont curés, les alluvions et plantes récupérées, servant par la suite de fertilisant. Ce processus, permettait une occupation des sols pendant des très longues périodes ; dans un milieu, qui normalement, ne permet qu'une agriculture itinérante sur brûlis, et une occupation du site de trois ans. En raison de la fertilité des sols antillais, de nature volcanique, les Arawaks n'utilisèrent les canaux que dans des endroits particulièrement secs.

Les principales cultures des populations arawaks (le manioc, le mil, le maïs, la patate douce, l’igname, la cacahuète) nous sont indiquées par le journal de bord de Christophe Colomb : « Ainsi, que semé en mil semblable à celui de nos régions. A savoir essentiellement du pain de niames fait avec des racines pareilles à de gros radis qu’ils sèment, qui poussent dans toutes leurs terres et à la base de leur vie. Les terres sont très fertiles, elles donnent quantité de niames sortes de carottes qui ont le goût de châtaignes ; elles donnent aussi des féveroles et des fèves très diverses des nôtres. Beaucoup de coton qui n’est semé mais vient naturellement sur des grands arbres (Fromager) dans les montagnes.. » Ce système agricole à haut rendement généra la densification des sites humains, un fort accroissement démographique et une organisation politique complexe. Car d'après Las Casas (1474-1557), le nombres d’habitants de l'île d'Hispaniola s'élevait, lors de la découverte à trois millions de personnes ; ce chiffre est contesté par les historiens.

Quoi qu’il en soit, les Arawaks furent les premières victimes de la Découverte ou plutôt de la pseudo-découverte colombienne, qui préluda à une série d’exactions commise à l’encontre de la civilisation arawak, conduisant en moins d’un siècle, à sa totale annihilation. Ceci, à cause des agressions meurtrières des frères Colomb, de leurs affidés ainsi que de leurs successeurs, qui n’hésitèrent pas à attrouper des Indiens, tel un viatique, pour qu’ils puissent servir de pâtée à leurs chiens, lors de leurs pérégrinations assassines en Méso-Amérique. Les Arawaks sont ceux, qui subirent le premier ethnocide, le premier génocide de l’histoire des Temps Modernes.

Les Caraïbes une origine contestée

De nos jours, il est admis, que les Caraïbes seraient originaires de la région de l'Orénoque et du littoral des Guyanes, et selon leur mythologie, le premier Caraïbe « kallinago » aurait quitté le continent pour s’établir avec sa famille en l’île de la Dominique. Mais ignorant tout de leur propre genèse, au cours des ans, on leur attribué d’autres origines, dont César de Rochefort (1630-1691) dans son Histoire naturelle et morale des îles de l’Amérique inventorie les différentes versions ayant prévalu et que nous nous proposons de résumer, notamment, celles qui nous semblent les plus pertinentes ou amusantes : «Quelques uns s’imaginent qu’ils sont venus des Juifs, se fondant entre autres choses sur ce que les parentes des Caraïbes leur font naturellement acquérir pour femmes et qu’une partie d’eux ne mangent point de pourceau, ni de tortue. » Nous signalons ces propos à titre anecdotique.

A) Les Caraïbes insulaires sont-ils des réchappés des massacres espagnols ?

La première version que nous retenons, avance l’idée que les Caraïbes ne sont que des réfugiés, des restes, des parcelles de débris, des réchappés des massacres que les Espagnols firent, quand ils s’emparèrent des îles de Cuba, Saint Domingue, Jamaïque et de Porto-Rico. L’auteur repousse cette hypothèse, affirmant que dès le début de la découverte de l’Amérique, les Antilles étaient occupées et peuplées par les Caraïbes et ajoute : « les Indiens de curaçao, qui sont sans contredit de ces véritables réchapez et qui ont encore parmi eus des personnes vivantes (…) n’ont aucun mot de la langue caraïbe en la leur, ni aucune façon de faire d’où l’on puisse recueillir qu’ils aient jamais eu de communication avec les Caraïbes. » Mais Fernandez de Oviedo y Valdez (1478-1557) atteste que les Petites Antilles sont peuplées d‘Indiens originaire du Pérou (Amérique du Sud) ayant fuit la conquête espagnole. On peut s’interroger sur les matériaux historiques dont disposait Rochefort, pour rejeter la version d’un des premiers historiens des Indes Occidentales et gouverneur d’Antigua, qui vingt-et-un ans après la découverte, se trouvait déjà en poste dans les Amériques. Certes, son travail d’historien n’a été jugé probant à cause des nombreuses inexactitudes historiques et son orientation politique. Toutefois, cela ne suffit pas à réfuter sa thèse et les témoignages apportés par Rochefort afin de conforter son point de vue, ne suffisent pas pour contredire la version d’Oviedo.

B) Les Caraïbes originaires de la Guyane, sont-ils apparentés aux Galibis ?

Cette version équivaut à celle qui est retenue par les historiens contemporains, elle prétend que les Caraïbes seraient issus des Galibites ou Galibis habitant l’Amérique méridionale (Guyane) voisins des Alouâgues ou Aroüagues. Les Caraïbes fondent ou fondaient leurs dires à cause de : « la conformité de langage, de religion, et de mœurs qui se trouvent entre les Caraïbes insulaires et les Galibites.» Rochefort portait cette réserve : « bien qu’au reste cette ressemblance puisse venir en partie de l’alliance et de l’amitié particulière qu’ils ont entre eux, en partie du voisinage des Caraïbes du continent méridional et de ces Galibites. » Aujourd’hui, les recherches linguistiques confirment que l’idiome caraïbe n’a pas la structure concrète d’une langue parlée. Cette langue était apprise au moment de l’adolescence et servait d’outil de communication et d’échanges commerciaux avec les Galibis. Leur « véritable » langue, est une langue profondément Arawak. Ce qui infirme l’hypothèse de la filiation galibite.


C) Les Caraïbes étaient-ils une nation vassale des Aroüagues ?

César de Rochefort étudie une autre version, qu’il aurait tenu d’un dénommé de Montel, que les Caraïbes de Saint-Vincent auraient « réciter » à ce dernier et qui l’aurait consigné dans ses mémoires (introuvables) : il soutient que les Caraïbes à l’origine seraient une nation inféodée aux Aroüagues et assujetties à leurs princes, ne supportant plus ce joug, une partie des Caraïbes se seraient rebellés contre leurs oppresseurs, puis se seraient établis sur l’île de Tobago la plus proche du continent avant de se répartir dans l’ensemble des petites Antilles. Cette version est plausible, mais Rochefort tente la contrecarrer à partir d’une analyse étymologique du mot « caraïbes » qui dans cette acception signifierait « rebelle » et il estime : « vivant aujourd’hui au milieu d’eux, tout ce nom de Caraïbes (…) il n’y a nulle apparence qu’il exprime des rebelles, puisque ce leur ferait une flétrissure et une marque d’infamie. » L’argument nous paraît un peu court, pour la prendre en considération. Car le renversement de sémantique n’est pas choses rares dans la langue : Aimé Césaire s’y ait essayé avec un certain succès avec le mot : Nègre chargé d’opprobres à l’origine, dont aujourd’hui certains s’en prévalent et s’en glorifient. A contrario, nous avons l’exemple de conquérants tels que les Vandales, dont le nom est devenu au fil des ans synonyme de barbares, destructeur, dévastateur et aujourd’hui de goujat ou d’imbécile. Donc, l’appropriation ou non d’une identité, ne nous paraît pas une donnée pertinente pour repousser cette éventualité.

D) Les Caraïbes, furent-ils les conquérant des Petites Antilles ?

Cette version émanerait des Caraïbes de la Dominique, elle rapporte que : « leurs ancêtres sont sortis de la Terre ferme, d’entre les Galibis, pour faire la guerre à une nation d’Aroüagues qui habitait les îles, laquelle ils détruisirent entièrement, à la réserve de leurs femmes qu’ils prirent pour eux, ayant par ce moyen repeuplé les îles.» C’est ce fait à leurs yeux, qui expliquerait que les femmes Caraïbes ont un langage qui diffère de celui des hommes et qui serait apparenté à celui des Aroüagues du continent. Rochefort n’a aucun élément probant pour contester cette thèse, donc il dénigre les Caraïbes de la Dominique estimant qu’elle : « n’a aucun fondement, tant que ces gens se contredisent, se réfutent les uns des autres pour apporter une quelconque crédibilité à leurs dires. Toutefois, il n’était pas le premier à faire l’écho de cette thèse, quoique., elle explique la raison pour laquelle les femmes parlent une autre langue que les hommes.

E) Les Caraïbes sont-ils originaires de la Floride ?

La dernière thèse que nous examinerons nous offre une hypothèse plausible de l’origine des Caraïbes, mais sujette à caution, d’ailleurs comme toutes les précédentes. Cette version de prime abord, à une dimension hollywoodienne, tant qu’elle est cinématographique, épique et dramatique. Pour C’est cette version qui pour Rochefort est une vérité assertorique : « la mieux circonstanciée qui ait paru jusqu’à présent, aussi nous la tenons pour la plus véritable et la plus certaine.» Le chroniqueur consacre un long développement de la version de ce gentilhomme anglais monsieur de Bristok dont il a fait sienne ; nous proposons d’en faire le synopsis : En des temps indéterminés une nation indienne, les Cofachites qui demeuraient plus au nord de l’Amérique, dans un pays marécageux et stérile, lancèrent une guerre de conquête contre leurs voisins, les Apalachites qui vivaient sur une terre verdoyante et fertile. Après avoir obtenu l’assentiment des chefs de famille et des villages, les chefs des Cofachites préméditèrent de s’en prendre aux Apalachites au printemps. Le jour venu, les Cofachites brûlèrent leurs villages, prenant femmes, enfants et leurs bagages, ils se mirent en campagne ; plus question de revenir en arrière, il s’agissait pour eux, de vaincre ou de mourir. Les Apalachites occupés à planter leur maïs, aperçurent l’armée des Cofachites qui fonçait sur eux, ils abandonnèrent leur bétail et leurs maisons pour se réfugier dans les montagnes. Le roi des Apalachites, informé de cette intrusion sur son territoire alla à la rencontre de l’armée adverse avec toutes les forces de son royaume. Après moult péripéties et ruses de guerre, les deux armées s’affrontèrent à la frontière du royaume Apalachite : « de part et d’autre ils eurent consumé toutes leurs flèches, ils en virent aux mains ; ayant pris leurs massues, il se fit un grand carnage des deux armées.» Ayant perdu beaucoup de leurs membres les Cofachites, pensèrent qu’ils seraient plus judicieux de négocier avec les Apalachites que d’engager dès le lendemain une nouvelle bataille. Les Cofachites envoyèrent leurs ambassadeurs en mission auprès du roi des Apalachites et firent leurs propositions. Après les réflexions d’usage, le Conseil accepta de leur consentir une province : Amana, sous la condition qu’ils reconnaissent le roi des Apalachites comme leur souverain, lui fasse un tribut annuel raisonnable et qu’ils embrassent sa religion et les coutumes du pays, et à ce titre ils seront tenus comme les naturels du pays et jouiraient des mêmes franchises.

A partir de ce moment que les Apalachites appelèrent les Cofachites : Caraïbes, signifiant dans leur langue : étrangers, hommes forts et vaillant, des gens ajoutés ou survenus subitement.

Les deux nations s’étant unifiées, avec le temps la population caraïbes s’accrut fortement, et refusa de rendre les hommages dus au roi et d’embrasser la religion du dieu soleil. La guerre reprit, les tueries et les famines aussi. Les Caraïbes réussirent à gagner une autre province et forcèrent le roi apalachite à convenir d’une trêve, mais ce dernier n’acceptait pas de céder une deuxième province sans réagir, il mit en œuvre un cheval de Troie, il se servirait de la religion afin de désunir les Caraïbes et de fomenter au sein de cette nation des guerres intestines. Mettant à profit la période de paix, le roi envoya ses prêtres du soleil évangéliser les Caraïbes. Au bout de trois années la trêve venant à expiration, le roi lança son ultimatum. Ayant goûté à la paix et à l’abondance, une fraction des dignitaires Caraïbes acceptèrent d’abjurer leur foi pour adopter la religion du Soleil, mais d’autres refusèrent et le conseil était dans l’incapacité de répondre aux propositions de guerre ou de paix qui leurs étaient faites. Ils s’ensuivit une guerre entre les deux fractions, la fraction victorieuse aidée des Apalachites chassa de la province d’Amana et de Matique les vaincus, ceux qui troublaient leur paix et renforcèrent puissamment leurs frontières afin d’empêcher tout espoir de retour aux exilés. Et ce fut l’exode, la misère et l’errance pour les vaincus, vivant de la charité et de la compassion des habitants des pays qu’ils traversaient. Il finirent par atteindre la mer où ils voient deux embarcations poussées par des vents contraires en provenance des îles Lucayes (Bahamas) dont les occupants avaient mis pied à terre, leurs racontent la beauté des îles désertes situées et inhabitées vers l’équateur, guidés par les Lucaïquois les Caraïbes s’installent à Sainte-croix : « Ce fut en cette île d’Ayay que nos Caraïbes jetèrent les premiers fondements de leur colonie, […] Et quelques siècles après ayant occupé toutes les îles habitables, ils se poussèrent jusqu’au continent de l’Amérique Méridionale…»

Cette version édulcorée (romancée) n’est pas sans rappeler un certain texte biblique. Il apparaîtrait qu’au XVIII e siècle cette thèse connu un succès (tenue pour vraie) car le père Labat (1663-1738) reprend à son compte la thèse de son devancier : « les auteurs qui ont parlé de leur origine, croient qu’ils viennent de la Floride, et que c’est ou le hasard qui les a portés aux petites îles, ou que se trouvant trop pressé dans leur pays, ou trop vivement poursuivis par leurs ennemis, ils ont été obligés de quitter leur pays natal, et d’aller chercher de nouvelles terres pour s’établir. Cette pensée est fondée sur ce que certains indiens de la Floride parlent à peu de chose près le même langage que nos Caraïbes, et ont les mêmes coutumes, ce qu’on trouve point dans aucuns Indiens des Grandes îles, et de quelques endroits de la Terre ferme, dont le langage n’approche en aucune façon de celui de nos Caraïbes, quoiqu’il approche beaucoup de celui que parlent les femmes.

La manière de vivre de nos Caraïbes est encore une preuve, qu’ils sont étrangers dans les îles, puisqu’elle est toute opposée, et tout à fait différente de celle des anciens indiens qui les habitaient. Car ces derniers aussi bien que ceux des grandes îles étaient des gens simples, doux, serviables, affectionner aux étrangers, qui seraient toujours demeurés dans cet état, si les cruautés inouïes, et l’avarice insatiable des Espagnols ne les avaient obligés de se soulever contre eux, pour se délivrer du joug insupportable de leur tyrannie. Au lieu que nos Caraïbes ont toujours été des gens belliqueux, à leur manière, des gens fiers et indomptables, qui préfèrent la mort à la servitude, que les européens depuis ceux qui les ont découvert, jusqu’à ceux qui sont à présent, n’ont pu humaniser assez pour pouvoir demeurer ensemble dans un même endroit, et qu’ils ont été obligés de détruire, ou de chasser, de les rencogner comme ils sont à présent dans les îles qu’ils occupent, qui sont la Dominique et Saint Vincent, pour pouvoir vivre avec quelque sorte de sûreté dans les autres îles. Leur naturel quoique adouci par la douceur du climat, approche encore trop de celui des Sauvages de la Floride et mêmes du Canada, pour ne pas convenir qu’ils viennent de la Floride et des environs et qu’étant passés dans les Petites Antilles, il ne leur fut pas difficile, à ceux qui étaient des guerriers, de se défaire des anciens habitants, qui n’étaient point accoutumés à la guerre, et qui les reçurent sans se défier d’eux. Il y a apparence qu’ils tuèrent tous les mâles, et qu’ils réservèrent les femmes, pour le besoin de la conservation de leur espèce. Quoiqu’ils ne soient pas dans ce besoin aujourd’hui, ils ne laissent pas encore de conserver toutes les femmes qu’ils prennent à la guerre, et après qu’ils les ont conduites chez eux, ils les regardent comme des naturelles du pays et les épousent. » La suite de ce texte, nous décrit par quel moyen les Caraïbes sont partis de la Floride pour arriver aux petites Antilles ; ce qui nous intéresse c’est la conclusion qu’il en tire et cela double titre : « C’est ainsi que l’on peut raisonnablement conjecturer qu’ils se sont établis dans les Antilles. On ne doit pas s’étonner, si en s’emparant de ces nouvelles terres et en détruisant tous les habitants mâles, ils ont conservé leur langue naturelle et leurs coutumes, qu’ils ont transmises à leur prospérité, qui les conserve encore aujourd’hui ; et si les femmes qu’ils y ont trouvées ont conservé aussi leur langue, et leur manière simple et douce, qui sont le caractère des Indiens d’entre les Tropiques.»

La nouveauté qu’apporte le père Labat, par rapport à ses prédécesseurs, c’est de réunir ces deux thèses pour n’en faire qu’une seule. La première traitant de l’origine Nord américaine des Caraïbes n’est pas soutenue par les historiens, les archéologues ou les chercheurs d’autres disciplines travaillant sur le sujet. 

Toutefois, elle mérite l’attention, car la proximité des Bahamas de la Floride, l’étude des courants marin, n’excluent pas la possibilité d’une migration indienne en provenance de l’Amérique du Nord, qui aurait favorisé le peuplement des Petites ou Grandes Antilles. Nous analyserons la seconde thèse après que nous ayons développé la thèse des deux ethnies qui apporte un regard différent de celle des chroniqueurs. Une approche différente

La thèse des deux ethnies

M. Mattioni, ancien directeur du musée archéologique de Fort de France, abonde dans le sens, que nous serions en présence de deux ethnies, comme la plupart des historiens travaillant sur ce sujet : « Les Antiques habitants de la Martinique appartenaient à deux groupes ethniquement et linguistiquement divers, se divisant à leur tour en sous-groupes, possédant des traits culturels particuliers, que l’analyse typologique révèle sans équivoque possible. » Cette distinction entre Caraïbes et Arawak, est remise en cause par d’autres historiens antillais. Mais si l’on se fie au journal de bord de C. Colomb :

1) Le samedi 13 octobre : Ce sont des gens très beaux. Leurs cheveux ne sont pas crépus, mais lisses et gros comme les crins du cheval. (...) aucun d’eux n’est brun foncé mais bien de la couleur des Canariens.

2) Le 6 novembre : elles sont très soumises, pas très noires, moins au contraire que les Canariennes.

3) Jeudi 13 décembre et qu'ils sont plus blancs que ceux des autres îles. Entre autres, ils avaient vu deux jeunes filles aussi blanches que l'on peut l'être en Espagne.

4) Dimanche 16 décembre : C'était les plus beaux hommes et les plus belles femmes que, jusque-là, ils avaient rencontrés. Ils étaient assez blancs, au point que s'ils fussent allés vêtus, protégés du soleil et de l'air, ils auraient été presque aussi blancs qu'on l'est en Espagne.»

5) Samedi 22 décembre : Les Indiens qu’ils emmenaient ne les entendaient pas bien eux-mêmes, car il y avait entre eux quelque diversité de mot pour nommer les choses.

6) : Ayant atteint le continent, nous y avons aperçu quelques indiens d’aspect brutal, la peau presque noire. D’après l’interprète, ils mangeaient des poissons crus et de la chair humaine.

A travers son récit de voyage, Colomb historie des variétés de populations, dont la pigmentation variait, allant du noir vers le blanc. Ce qui nous enclin à croire, que nous étions en présence de plusieurs groupes ethniquement distincts, tant par la couleur de leur peau, que par leur langue, ce qui influe que la présence supposée d’une population antérieure aux Caraïbes, fasse débat : pour des écoles il y a une continuité de peuplement dans les Petites Antilles, pour d’autres une rupture et il est difficile d’y voir clair : l’historien Oruno Lara, lors d’une conférence en vue d’un hypothétique procès contre Napoléon Bonaparte pour crime contre l’humanité, a clairement exprimé sa pensée : l’invasion caraïbe est une fable. Pour M. Mattioni l’invasion est une réalité, du moins, il retrouve les traces de deux « civilisations » qui se sont succédé sur un même territoire, ce qui laisse présupposer le remplacement d’un groupe humain par un autre.

En toute franchise, face à toutes ces interprétations, nous devons reconnaître que nous n’avons pas affaire à des évidences apodictiques। Une analyse socio-politique nous conduirait à formuler que la thèse prônant l’extermination des Arawaks par les Caraïbes infère une justification morale pour les colonisateurs concernant leur attitude envers les Caraïbes, qu’ils ont massacrés allègrement par dizaines de milliers et l’atténuation de leur responsabilité face à l’histoire ou une auto-justification pour leurs contemporains : nous n’avons rien fait, qu’ils n’aient eux-mêmes fait auparavant. Ce qui induit que cette thèse peut être perçue - à raison - comme une légitimation de la colonisation : cette terre n’est pas la leur puisse qu’ils l’ont volé aux gentils Arawak (Ygneris, Inibi, Igniri, Igneri ou Iniri) après les avoir tous tués. Evidemment, c’est cette version, celle des chroniqueurs, que les colonisateurs ont exploitée le plus sûrement, afin d’assurer leurs desseins politiques et les enjeux économiques de la colonisation. 

Mais devons-nous la réfuter pour autant, même si elle a servi de caution morale aux esclavagistes et aux tenants coloniaux ?

Les Caraïbes ont-ils réellement massacrés les populations qui les devançaient dans les îles des Petites Antilles ? 

Les Caraïbes appartiennent-ils à une même et seule ethnie ? 

A toutes ces questions, les réponses apportées par les historiens, les archéologues, les linguistes ne sont pas concluantes, dans la mesure, qu’elles s’opposent, se contredisent, et surtout les historiens qui affichent leurs désaccords.


Tony Mardaye

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Il est entendu, que l’Indien dont nous parlons, doit être vu comme l’Amérindien.
R.P. André Chevillard, Les desseins de son Eminence de Richelieu pour l'Amérique (1659) Soc. Hist. Guad. Bibl.d'Hist. antil. n° 4. 1973.

Un certain nombre d’historiens estime, que l’anthropophagie des Caraïbes n’était qu’un prétexte pour éliminer des indiens qui résistaient bec et ongles aux expéditions des nations européennes et une astuce afin de pouvoir les asservir (esclavagiser). Les chroniqueurs qui ont popularisé cette légende s’appuieraient sur une fable de Colomb : « la terreur d’être mangé les rendait muets et qu’il ne pouvait les délivrer de cette peur. Ils disaient que les canibas n’avaient qu’un œil et une face de chien. » C. Colomb, Journal de bord, 1492-1493, Imprimerie Nationale, ed., p. 118.


Les chroniqueurs sont des religieux, qui furent directement impliqués dans le processus colonial. Ils ont consigné par écrit l’histoire des Petites ou Grandes Antilles au début de la colonisation, mais tout ce qu’ils relatent n’est pas forcément juste, certains faits méritent d’être corroborés par d’autres sources, lorsqu’elles sont disponibles. Et quand il s’est agit de parler du Nègre ou de l’Indien, leur vision idéologiquement connotée a altéré fortement l’humanité et la réalité de ces derniers. D’aucuns furent accusés de plagiat.


Rochefort : Relation de l’Isle de Tabago, chez Louis Billaine, Paris 1666.

La question des indigènes fut posée antérieurement dans les colonies espagnoles. « Ferdinand le Catholique, en 1525 avait déclaré esclaves tous les indigènes du Nouveau Monde, il décréta que les indigènes étaient des êtres inférieurs par nature. En 1529, le roi approuva lors d’un conseil, entre autres cet article : « Il parut à l’assemblée que le droit et la raison garantissent aux Indiens leur entière liberté.» Le pape Paul III dans une bulle de 1531, reconnaît que les Indiens sont libres et non esclaves. » Ces déclarations de principe, n’empêchèrent pas les Espagnols de continuer à massacrer les Indiens, commettant par-là le premier génocide et ethnocide des temps modernes. Lucien Peytraud, l’Esclavage aux Antilles françaises avant 1789, ed., Desormeaux, Paris 1973.

Ces deux familles linguistiques représentent aujourd’hui une cinquantaine de langues chacune.


Dans l’état de nos connaissances, il n’est pas à exclure que les deux hypothèses migratoires soient justes. On pourrait en ajouter une troisième, qui dans l’absolu n’est pas une impossibilité : celle d’une migration nord américaine, à partir de la Floride, en passant par les Bahamas pour arriver en Haïti.


Les indices laissent penser que l’installation se fit au cours du 5e millénaire av. J.-C. « à la période pré-céramique » d’hommes vivant de la cueillette, de la chasse, de la pêche. Les silex éclatés ou sommairement taillés, haches, polissoirs, broyeurs, herminette de pierre et de lambis seraient les vestiges de cette période. Très récemment de tels indices auraient été repérés dans le sud de la Martinique (…) ainsi qu’en Guadeloupe. Histoire de la Martinique : Armand Nicolas, t., 1, Des Arawaks à 1848, ed., l’Harmattan, 1996, p.7.


Histoire des Antilles et de la Guyane, ed., Privat, Toulouse, 1982, p. 38.

Sidney Daney, s’appuyant sur les textes des premiers chroniqueurs, le Père Breton et Du Tertre, écrit à la page 108 de son Histoire de la Martinique : « Les Caraïbes n’étaient pas originaires des îles du golf du Mexique où les trouvèrent les Espagnols… (…) Ils provenaient des Galibis, nation du continent, qui vinrent conquérir les îles sur les Ygneris qui en étaient les naturelles. Les vainqueurs tuèrent les hommes et gardèrent les femmes pour en faire leurs épouses.»

Par dérivation ou corruption « conuco »deviendra le jardin que les Espagnols allouerons à leurs esclaves.


L'Etat du monde en 1492 / Amérique /sous la direction de Guy Martinière et Consuelo Varela, ed., La Découverte.


Journal de bord, C. Colomb, 1492-1493, ed., Imprimerie nationale, p. 103, 105, 135.


Une société fortement stratifiée avec un roi ou cacique au sommet et tout en bas de l’échelle les Naborias ou Ciboneys, dont le statut correspondrait à celui de l’esclave.


Armand Nicolas, avance le chiffre de 300 000 habitants, un autre 350 000. Remarquons que les historiens tablent sur une population se chiffrant entre 7 000 000 et 1 000 000 d’individus vivant sur l’île d’Hispaniola à l’arrivée de Colomb, en 1492. Mais cette estimation est en baisse constante, comme vous pouvez vous en rendre compte, dans l’encyclopédie Encarta, la population totale estimée pour les îles Caraïbes au moment de la découverte s’élève à 445 000 habitants. Au rythme où les encyclopédistes et les historiens « dépopulationnent » le bassin caraïbe, il est probable que dans deux siècles, on ne trouvera plus qu’un millier d’indiens perturbés, qui se seraient égarés dans ces îles.


Sans remonter jusqu’aux Vikings, il était admis au 15 e siècle la sphéricité de la terre, aussi bien par les par les savants que par les navigateurs. Par ailleurs le Pape Pie II (Silvio Piccolomini) avait publié un livre soutenant cette hypothèse. Il est écrit qu’un capitaine diéppois : Jean Cousin aurait découvert le Brésil en 1488, en accostant au Cap San Rogue. Remarquons que son second n’était que Vincent Pinzon, commandant de la Nina et son frère Martin Pinzon celui de la Pinta, deux des trois bateaux qui s’élancèrent à conquête du Nouveau Monde. Donc en cherchant, on trouve de nombreux indices qui permettent de remettre en cause la primauté de la découverte colombienne ou des questions qui restent pour l’heure sans réponse : d’où provenait les « beaux bois exotiques » dits à l’époque « bois du Brésil » et ceux qui tapissaient la bibliothèque de Charles V au Louvre ? On suppose qu’i l y avait des capitaines (irlandais, bretons, basques, portugais, turques, etc.) qui se rendaient en Amérique (pour le bois du brésil, pour chasser la baleine ou suivre les bancs de morue) bien avant 1492, mais des raisons évidentes de monopole, gardaient leurs routes maritimes sécrètes. Ceci ne vaut que pour l’Europe, car les indices asiatiques ou africains sont encore plus probants.


Armand Nicolas remarque : Cuba, par Exemple, avait 300 000 Taïnos, Porto Rico 60 000, en une dizaine d’années il n’en restait plus un seul indien vivant dans les Bahamas.


Kallinago selon le langage des hommes et Kalliponam selon la langue des femmes.


Rochefort (César de) : Histoire naturelle et morale des îles de l’Amérique. Ed., Rotterdam, 1658 , p. 327


Oviedo y Valdez, Fernandez de, Historia General de las Indias (1557), Biblioteca de autores Espagnoles, Atlas, Madrid, 1992., t. II, p. 210


Cesar de Rochefort : Histoire naturelle et morale des îles Antilles de l’Amérique. Arnould Leers, Rotterdam, 1658. p. 326

id., p.329
id., p. 330, 331.
Id., p. 330.
Id. p. 330
id., 334
id., p. 349
Le Père Labat : Nouveau Voyage aux îles de l’Amérique ; t IV, p. .332, 333, 334 , 335.
Id. p.336
Histoire des Antilles et de la Guyane, ed., Sernor / Tchou, p.12
Journal de bord, 1492-1493, ed., Imprimerie Nationale, p. 75, 105, 135, 141, 152.

Vicente Munoz puelles, Moi Colomb, ed., Casterman.


Mais dans sa lettre à Luis de Santangel, Colomb dit le contraire : « je n’ai pas vu grande diversité dans le type d’habitants ni dans les coutumes ni dans leur langue, mais au contraire tous se comprennent…» Un avis que ne semble pas partager le Père Raymond Breton : « le langage des nos Karaïbes est différente de celles des Gallybis de terre ferme। Ils ont diverses sorte de langages. Les hommes ont le leur et les femmes un autre, et encore un autre pour les harangues et traittés de conséquences…» Relation de l’île de la Guadeloupe, t., 1 Basse-Terre, Société d’histoire de la Guadeloupe, 1978. p. 55. La contradiction manifeste entre la lettre à Luis de Santangel et les notes relevées dans son journal de Bord, vient sans doute du fait, que le Journal de Bord, est la copie d’une copie. Le manuscrit qui est parvenu jusqu’à nous a été écrit par Las Casas, l’original ayant disparu. Il est fort à parier que Las Casas ait apporté des corrections et imprimé sa propre vision ou conception des Indiens dans le manuscrit attribué à Colomb. Les lettre envoyées à Santangel, Sanchez et aux rois catholiques le 4 mars 1493, ayant été maintes fois rééditées, afin de couper court à l’expansion portugaise, sont bien l’œuvre de Colomb.




samedi, août 18, 2007

Une plaque provinciale commémore la communauté noire de la rivière aux Puces

La Fiducie du patrimoine ontarien, le Lakeshore Black Heritage Committee (comité du patrimoine noir de Lakeshore) et la Ville de Lakeshore ont dévoilé aujourd'hui une plaque provinciale commémorant la communauté noire de la rivière aux Puces. "Compte tenu de l'espoir et de la détermination de leurs ancêtres, les descendants de cette communauté se sont établis avec succès dans toute l'Amérique du Nord", a déclaré l'honorable Lincoln M. Alexander, président de la Fiducie du patrimoine ontarien. "Cette plaque provinciale aidera à partager cette histoire passionnante avec les générations à venir."

La communauté noire de la rivière aux Puces a joué un rôle important pour le patrimoine ontarien grâce à son association avec les premières colonies noires et avec la lutte pour l'émancipation. La plaque a été conçue avec le

soutien financier du ministère des Affaires civiques et de l'Immigration de l'Ontario et fait partie des activités commémorant le 200e anniversaire de l'abolition de la traite des esclaves.

"Cette plaque provinciale commémore une communauté fondée par d'anciens esclaves qui se sont établis en Ontario au cours de leur quête pour la liberté", a mentionné la ministre de la Culture, Caroline Di Cocco. "Puisque nous célébrons le bicentenaire de l'abolition de la traite des esclaves, profitons de ce moment pour reconnaître et célébrer ces événements importants qui font partie de l'histoire de l'Ontario."

La communauté noire de la rivière aux Puces s'est développée grâce au soutien accordé par la Refugee Home Society, un organisme abolitionniste fondé au début des années 1850. La Society offrait aux anciens esclaves et à leurs familles la possibilité d'acheter des fermes de 25 acres dans les cantons de Sandwich et de Maidstone, ce qui a permis à plus de 60 familles noires récemment libérées de coloniser la région de la rivière aux Puces.

"Les esclaves fugitifs voyageant vers le nord sur le chemin de fer clandestin ont trouvé refuge dans la région de la rivière aux Puces", a remarqué Bruce Crozier, député d'Essex. "Ils ont ensuite savouré leur indépendance tout en contribuant à la croissance et au développement de cette province."

La Refugee Home Society réservait aussi une partie des terres pour y construire des écoles et des églises. En 1872, une église épiscopale méthodiste britannique (EMB) et un cimetière furent construits. Une église épiscopale méthodiste africaine (EMA) et une église baptiste servirent également la communauté.

"En tant que colonie de la Refugee Home Society, cette communauté a vu naître deux des trois plus anciennes églises de la région de la rivière aux Puces, soit les églises EMB et EMA", a affirmé Glen Cook, président du Lakeshore Black Heritage Committee. "Plusieurs anciens esclaves ainsi que leurs familles, qui sont venus ici en empruntant le chemin de fer clandestin, reposent dans ce cimetière. Une fois affranchis, ces anciens esclaves ont créé un chemin vers la liberté pour les générations futures tout en aidant leurs familles et en contribuant au développement de la religion et de la région."

Une pierre tombale dans le cimetière de l'église EMB demeure le dernier indice physique de la communauté noire de la rivière aux Puces. Une visite du cimetière historique était incluse dans les activités du dévoilement de la plaque d'aujourd'hui. Le cimetière est entretenu par le Lakeshore Black Heritage Committee, la Ville de Lakeshore, ainsi que grâce au soutien de plusieurs partenaires communautaires et de bénévoles.

"La Ville de Lakeshore est fière de son rôle en matière de préservation de l'histoire locale" a ajouté Tom Bain, maire de la Ville de Lakeshore. "Nous avons collaboré avec le Lakeshore Black Heritage Committee, des bénévoles de la communauté et des citoyens locaux activement impliqués dans la conservation historique. La Ville a noué des liens solides avec ces groupes et elle est fière de reconnaître et de célébrer les efforts des bénévoles impliqués dans la préservation de ce cimetière historique, qui revêt une importance à l'échelle tant locale que nationale."

Le dévoilement de cette plaque s'inscrit dans le cadre du Programme des plaques provinciales de la Fiducie, commémorant des personnages, des lieux et des événements importants de l'histoire de l'Ontario. Depuis 1953, la Fiducie a dévoilé plus de 1 200 de ces plaques reconnaissables à leur couleur bleu et or.

La Fiducie du patrimoine ontarien est un organisme à but non lucratif du gouvernement de l'Ontario. Elle a pour mission d'identifier, de préserver, de protéger et de promouvoir le patrimoine de l'Ontario.

www.heritagetrust.on.ca

jeudi, août 02, 2007

Les deux visages d’une même histoire

La venue de Nitish Kumar, chef ministre du Bihar, a notamment pour but de parler de la diaspora. La diaspora indienne à Maurice s’est mêlée à d’autres diasporas. L’histoire de notre pays est marquée par la dureté de deux systèmes : l’esclavage et l’engagisme. Même si la dureté des conditions de vie est commune, les différences sont nombreuses.


Patrimoine mondial de l’Unesco, l’Aapravasi Ghat est le premier port de débarquement de travailleurs engagés dans le monde. C’est également le lieu qui a vu passer le plus grand nombre de travailleurs engagés indiens, soit 500 000 environ et quelque 5 000 “liberated slaves” originaires des côtes orientales africaines au XIXe siècle.
Patrimoine mondial de l’Unesco, l’Aapravasi Ghat est le premier port de débarquement de travailleurs engagés dans le monde. C’est également le lieu qui a vu passer le plus grand nombre de travailleurs engagés indiens, soit 500 000 environ et quelque 5 000 “liberated slaves” originaires des côtes orientales africaines au XIXe siècle.
L’esclavage et l’engagisme. Deux systèmes. Deux contextes. Une même souffrance. Un même exil. Une même île où se reconstruire. Les similitudes reposent davantage sur l’aspect effroyable des conditions de vie. Les différences tiennent à l’évolution du statut de l’esclave et de l’engagé. Les différences se lisent dans la mobilité sociale de deux groupes distincts mais desquels naît un groupe original, celui des gens de couleur. L’historien Jocelyn Chan Low, précise d’emblée, “il y a des similitudes certes mais les différences sont aussi très importantes, surtout fondamentales dans l’évolution des groupes issus de l’esclavage et de l’engagisme”.

La période de transition qui mène de l’esclavage à l’engagisme illustre l’évolution de la société mauricienne. Si l’engagisme se veut “plus juste”, comme le rappelle Corinne Forest, muséologue à l’Aapravasi Ghat Trust Fund, il n’empêche que les conditions de travail des premiers engagés ne sont guère meilleures que celles des ex-esclaves. Lorsque l’on évoque l’histoire de Maurice, surtout ces deux périodes qui soulèvent encore des passions, il est nécessaire d’avoir une approche dépouillée des velléités héritées du passé. Aussi, l’exhaustivité n’est pas la finalité. Le rôle des planteurs, de figures emblématiques tel qu’Adolphe de Plevitz ou de l’administration coloniale ne sont pas évoqués. Le discours se veut donc neutre. Avertissement liminaire contre toute interprétation hâtive. “Il serait mieux d’avoir une lecture commune de ces deux périodes plutôt que de les étudier séparément”, prévient Vijaya Teelock, historienne et ancienne chairperson de l’Aapravasi Ghat Trust Fund.

Corinne Forest rappelle : “Dès 1807, le gouvernement britannique, sous la pression de l’antislavery society, abolie la traite négrière, jugeant ce procédé inhumain. L’esclavage est finalement aboli en 1833 dans les colonies sauf à Maurice, où il faut attendre 1835”. A cette époque, l’industrie sucrière était en plein essor, suite à l’harmonisation des prix du sucre importé des Caraïbes et de Maurice par le marché londonien. La main-d’œuvre est donc essentielle dans ce contexte et l’abolition de l’esclavage porte un coup dur à ce secteur.

Pour pallier ce manque de main-d’œuvre, le gouvernement britannique se penche sur un nouveau procédé. L’engagisme, institutionnalisé en 1834. L’engagisme est d’abord testé à Maurice à cause de sa position géographique et de l’importance de la canne dans l’économie. Ce système est jugé plus juste car il lie le travailleur sur une base contractuelle.

Mais pourquoi choisir l’Inde comme foyer d’immigrants engagés ? “L’Afrique de l’Est ou Madagascar auraient pu être des foyers de main-d’œuvre mais pour éviter toute accusation d’esclavage déguisé, le choix s’est porté sur l’Inde d’autant qu’il s’agit d’une colonie britannique, où ce type de contrat pouvait représenter une opportunité pour des personnes pauvres qui voulaient également fuir le système des castes”, explique Vijaya Teelock.

“L’histoire nous permet de
mieux comprendre les tenants
et les aboutissants du jeu
social d’aujourd’hui. (...) il
faut avoir une vision juste
du passé, de notre histoire,
en évitant l’écueil de sa politisation...”

L’expérience mauricienne étant concluante, l’enga-gisme a été diffusé dans de nombreuses colonies britanniques (Trinité et Tobago, Fidji), françaises (Réunion, Antilles) et hollandaises (Guyana). Ces travailleurs indiens sont venus remplacer les esclaves affranchis. Corinne Forest révèle qu’entre “1838 et 1842, l’immigration indienne a été suspendue à cause des conditions de voyage des migrants et des conditions de vie difficiles”. Durant cette courte période, les engagés venaient de Madagascar, des Comores, de Macao ou d’Asie du Sud-Est. Il n’empêche que l’immigration indienne a repris de plus belle. Le faciès de la population mauricienne a radicalement changé en trois décennies. D’une île à majorité afro-malgache, on passe à une colonie à majorité indienne.

Aussi bien les ex-esclaves que les engagés ont souffert de ces systèmes contraignants. Toutefois, on ne peut pas mettre sur un pied d’égalité ces deux systèmes, surtout si l’on s’attache au statut juridique de ces deux types de travailleurs. L’esclave était un “bien meuble” alors que le travailleur engagé était “une personne liée par un contrat, un individu libre de se marier, rémunéré et non déraciné”, souligne Jocelyn Chan Low. Pour autant, le contrat de l’engagé n’était pas une panacée. La liberté de mouvement était limitée. Des ordonnances de 1864 sont venues réguler “de manière contraignante le travail des engagés indiens”, nous apprend Corinne Forest. Un débat historiographique persiste donc quant à la liberté des engagés ; travail forcé ou relative liberté ? Quoi qu’il en soit, il y a là une différence fondamentale avec le statut de l’esclave.

Complètement asservi l’esclave n’avait pas d’existence juridique. Il n’avait pas le droit à la propriété. La liberté de circulation n’était une réalité que pour les marrons qui ont fuit les plantations. A ce titre, le sort semblait pire que celui du travailleur engagé. “Les esclaves ont été déracinés, leur culture et coutumes niées”, indique Jocelyn Chan Low. Poursuivant, l’universitaire met néanmoins en relief “la dureté des premières décennies de l’engagisme”. La fin de l’esclavage et le début de l’engagisme sont donc marqués par la même âpreté.

La mobilité sociale des engagés indiens a été plus importante que celle des descendants d’esclaves. Les esclaves affranchis n’ont pas souhaité rester dans les plantations, du moins ceux “n’ayant pas de qualifications spécifiques comme les artisans – forgerons, charpentiers…”. La majorité a privilégié “des activités leur offrant plus d’autonomie même si elles sont moins rémunératrices comme la pêche ou la culture des légumes”, avance Vijaya Teelock. Pour Jocelyn Chan Low, cette orientation des ex-esclaves n’a pas permis une mobilité sociale comme celle des engagés indiens et leurs descendants.

Les engagés ont pu acquérir des parcelles de terre marginale qu’ils cultivaient sous cannes. Leur activité était donc directement liée à celle des gros planteurs, auxquels ils revendaient le fruit de leurs exploitations. Ce faisant, les engagés ont pu épargner. “L’enrichissement des petits planteurs d’origine indienne repose aussi sur l’accès au crédit dont ils bénéficiaient avec les marchands gujerati notamment”, selon Jocelyn Chan Low. Réaction en chaîne, l’enrichissement entraîne l’éducation et donc la formation d’une élite. Du côté des descendants d’esclaves, l’évolution butait sur les divisions internes au groupe.

L’histoire nous permet de mieux comprendre les tenants et les aboutissants du jeu social d’aujourd’hui. Il ne s’agit pas d’insister sur les différences pour cloisonner encore davantage la société. Au contraire, “il faut avoir une vision juste du passé, de notre histoire, en évitant l’écueil de sa politisation”, estime Vijaya Teelock. La période de transition menant d’un système à l’autre est primordiale dans l’histoire du pays. La population évolue, une nouvelle pyramide socio-économique se met en place.

“Notre vision du passé, parfois erronée, éclaire la façon dont nous voyons le présent”, note Jocelyn Chan Low. C’est pourquoi il est nécessaire d’avoir une interprétation juste et dépassionnée de l’histoire. “Nos aïeux venaient tous de quelque part (…) nous avons pour mission de continuer leur exil dans un lieu devenu pays natal”, écrivait Edouard Maunick. Chacun des groupes venant d’un ailleurs, ils ont dû se réinventer, reconstruire leur identité dans un milieu insulaire. Partant, ils ont également construit une nouvelle identité, portée par l’insularisme.

Les rancœurs du passé sont un frein à l’édification d’une nation qui tarde à venir. La nation mauricienne n’est qu’en gestation. L’histoire est un moyen de se connaître et de se reconnaître. Les revendications du passé polluent le chemin d’un avenir commun. L’instrumentalisation de l’histoire dans le discours politique n’augure rien de bon pour la Nation qui doit être tournée vers un avenir commun. Vijaya Teelock espère “que les cloisonnements tomberont avec les jeunes générations”. Celles-ci doivent donc “avoir conscience de leur passé”, un passé à la fois commun et pluriel. Il reste d’ailleurs de nombreuses pistes de recherches…


Gilles RIBOUET






“Liberated Slaves”

Si l’esclavage a été officiellement aboli en 1835, l’Aapravasi Ghat n’a pas vu passer que des immigrants engagés indiens. La marine britannique a, durant le XIXe siècle, arraisonné plusieurs bateaux transportant de manière illégale des esclaves originaires des côtes orientales africaines. Ces esclaves ont été appelés les “Liberated Africans”. Ils se voyaient proposer un contrat d’engagement sur les mêmes bases que les engagés indiens. Certains ont préféré regagner leur pays d’origine. Vijaya Teelock estime à 5 000 le nombre de ces “Liberated Africans”.





Les termes du contrat des engagés

Il s’agit d’un contrat libre, en ce sens que le travailleur indien accepte les conditions et s’engage volontairement. Ce contrat détermine les heures de travail, les médicaments auxquels le travailleur à droit, le salaire (Rs 5 par mois), les conditions de logement, les vêtements qui seront donnés. En s’engageant, le travailleur indien ne sait pas vers quel établissement sucrier il va être dirigé. Des ordonnances de 1864 ont apporté des modifications au statut de l’engagé.



Dates importantes

1721 : début du peuplement de Maurice alors Isle de France. L’esclavage débute dans la foulée jusqu’en 1835. 2 novembre 1834 : officiellement, arrivée des premiers travailleurs engagés indiens (72) originaires de Calcutta sur le bateau l’“Atlas”. L’engagisme prend fin officiellement en 1910, mais il faut attendre 1922 pour que le poste de protecteur des immigrants soit supprimé.





Les gens de couleur

Les groupes de descendants d’esclaves africains et d’engagés indiens ont tout deux mené à la constitution d’un groupe original, celui des gens de couleur. Issu du métissage euro-africain, euro-indien et également afro-indien, cette catégorie de la population mauricienne emprunte tant à l’Occident et à l’Afrique qu’à l’Orient. Durant l’esclavage, il s’agissait d’une mésalliance, de concubinage – et d’un interdit selon le code noir – généralement entre un Blanc et une esclave. Selon Jocelyn Chan Low, ces unions ont été, durant les premiers temps de la colonisation française, “ fréquents puisque le“ sex ratio”, totalement déséquilibré au sein de la communauté blanche, était très nettement à l’avantage des hommes”. Par ailleurs, “la morale religieuse n’était pas véritablement observée”. A ce propos, Amédée Nagapen, dans son ouvrage sur l’histoire du marronage à l’île Maurice, rapporte les propos d’un observateur de l’époque dénonçant en substance “une île où la gabegie et le désordre atteignent leur comble”.

Les Indiens engagés ont aussi contribué à l’avènement du groupe des gens de couleur. D’abord par le métissage comme l’écrivait Jean-Claude de l’Estrac dans son dernier ouvrage sur l’histoire de Maurice. L’union entre une personne d’origine européenne et une personne d’origine indienne n’était pas, à proprement parler, prohibée. Il était surtout mal vu, au même titre qu’une union entre une personne blanche et de couleur. Jocelyn Chan Low rappelle également que “de nombreux Indiens se sont convertis à l’anglicanisme”. De fait, ces convertis ont changé de nom et de prénom. L’histoire évoque un rapport sur les descendants des engagés indiens à Maurice datant des années 1940. Ce rapport, polémique, faisait état de ses conversions “dont l’une des motivations seraient de parvenir à intégrer l’administration coloniale britannique”. Cette démarche religieuse et culturelle a donc fait glisser une partie du groupe indo-mauricien dans le groupe des gens de couleur.

Des victimes oubliées du nazisme. Les Noirs et l'Allemagne dans la première moitié du XXe siècle, de Catherine Coquery-Vidrovitch



Véronique Bonnet, CENEL, Université Paris-XIII


L'ouvrage de Catherine Coquery-Vidrovitch, Des victimes oubliées du nazisme. Les Noirs et l'Allemagne dans la première moitié du XXe siècle, retrace une histoire méconnue. Certes, le sort réservé aux Noirs (Africains, métis et Noirs-Américains) durant cette période bénéficie d'une importante bibliographie en langue anglaise et germanique, cependant aucun historien français n'avait jusqu'alors consacré l'intégralité d'un ouvrage à cette question (1). En dehors de l'Hexagone, des historiens ont produit des textes de référence tel Hitler's Black Victims, The historical experiences of Afro-Germans, European Blacks, Africans, and African Americans in the nazi Era (2), Sterilisierung der Rheinlandbastarde 1918-1937 (3). Il existe également des autobiographies, Destined to Witness (4), des récits de vie, Afro-deutsche Frauen auf den Spuren ihrer Geschichte (5) ou encore de nombreux articles de presse. En contraste avec cet intérêt à l'étranger, Catherine Coquery-Vidrovitch constate que « peu de gens savent en France que les Noirs ont souffert en Allemagne - et pas seulement en Allemagne - d'une persécution analogue à celle des Juifs, des Tziganes et autres minorités martyrisées sous le régime nazi. De nombreux documents témoignent pourtant de l'existence de ces victimes oubliées du régime hitlérien (6) ».

Des victimes oubliées du nazisme restitue la terrible expérience des Noirs durant le régime nazi. L'ouvrage rappelle tout d'abord leur situation ambiguë avant 1933, période durant laquelle, malgré leur très faible présence, se développe un « racisme ordinaire (7) » qui s'origine dans la colonisation allemande (8). À l'aube du XXe siècle, une centaine de Noirs auraient vécu à Berlin, recherchés et appréciés par les linguistes allemands. Leurs témoignages laissent transparaître une mémoire relativement heureuse : leur entourage les protégeait du racisme. C'est donc moins les manifestations d'un racisme populaire qui fait progressivement basculer le sort des Noirs et des métis dans l'horreur que le développement des théories eugénistes, « l'affirmation de l'impérialisme colonial et la montée parallèle du "racisme scientifique" (9) ». Le génocide des Herero, qualifié de premier génocide par l'auteur, fut l'aboutissement de la politique coloniale dans ce qui devint l'actuelle Namibie : à partir de 1904 (10), 60 000 personnes périrent des suites d'une politique d'extermination décrétée par le général Lothar von Trotha et visant à mater la rébellion des Herero. L'obsession impériale allemande fut sans doute moins, durant cette période, focalisée sur la mise en place de Konzentrationslager (bien que le terme fût employé dans un télégramme de la chancellerie du 14 janvier 1905) que sur la hantise du métissage. En effet, l'Allemagne impériale se refusait, avec force discours et actes de répression, à reconnaître les enfants nés de viols et d'unions mixtes. Privée de ses colonies, « confisquées » par le traité de Versailles en 1919, l'Allemagne vit se renforcer, sur son territoire national, un puissant racisme anti-noir. L'occupation de la Sarre par les troupes françaises, notamment coloniales, est connue sous le terme de « honte noire ». Les fantasmes les plus délirants se muent en discours monstrueux - lesquels ne sont pas reçus comme tels à l'époque. Perçus comme de potentiels violeurs de femmes et d'enfants, les Noirs apparaissent comme des sujets dangereux dont les « vrais » citoyens allemands doivent se protéger. L'auteur résume les quatre arguments qui justifient la croissance du racisme : « le discours scientiste », « les méfaits du métissage », élément déjà évoqué, « le discours colonial d'avant-guerre » visant à légitimer le massacre des Herero et « l'humiliation nationale de la défaite ». Pseudo discours scientifique et usage politique de l'émotion permettent de renforcer les fondements d'une exclusion dès lors irréversible. Une argumentation raciste se construit également par référence à la condition des Noirs aux États-Unis : pays dans lequel la ségrégation raciale est alors encore en vigueur.

En 1933, une nouvelle étape est franchie : la nationalité allemande est retirée aux Allemands noirs, une loi de stérilisation les menace « même si elle ne les visait pas nommément (11) ». Le nazisme se dote en effet de lois destinées tout d'abord à exclure les citoyens considérés comme racialement impurs ; la minorité noire est progressivement reléguée au rang de paria. Outre la déportation dans des camps de concentration, la spécificité de l'idéologie hitlérienne consiste à résoudre la question du métissage en recourant à la stérilisation forcée. Sur ce point particulier, est développée une importante démonstration qui s'appuie sur plusieurs témoignages pour apporter les preuves de cette pratique adoptée également par les États-Unis, la Suède, la Norvège et le Danemark : la stérilisation dite « eugénique » incluant toute personne perçue par l'État comme « anormale » ou « antisociale » (12). En dépit des variations idéologiques et de justifications argumentées, la droite comme la gauche de ces pays croient alors en l'eugénisme, la gauche le pare de l'adjectif « social ». Plus de 300 « bâtards du Rhin » sont stérilisés. La précision des rapports médicaux est glaçante : « La blessure a cicatrisé en six jours sans complications. L'opération est considérée comme réussie à 100 %. Le patient a quitté l'hôpital en bonne condition (13) ». Hank Hauck livre ce témoignage lucide et terrible : « Nous avions la chance de ne pas être destinés à l'euthanasie ; nous étions seulement stérilisés. Il n'y avait pas d'anesthésie. Une fois reçu mon certificat de vasectomie, on m'a fait signer un papier par lequel je m'engageais à ne jamais avoir de relations sexuelles avec une Allemande (14) »
En dépit de la cruauté endurée, peu nombreux sont les Noirs qui quittent l'Allemagne nazie ; privés de passeport, la plupart ne peuvent se rendre dans aucun autre État. Leur vie quotidienne et, le cas échéant, celle de leur compagne blanche, bascule dans l'horreur. La couleur de leur peau les désigne comme victimes d'exactions légalement autorisées et encouragées. Isolés parce que minoritaires et visibles, leurs réflexes de survie ne peuvent qu'être individuels. Les rapports de voisinage avec les Allemands blancs sont généralement de « prudente neutralité (15) ». Dans un contexte de totalitarisme où toute parole se doit d'être discrète et relève de la pratique du « secret des familles », la prudence est de mise. Seule « une aide silencieuse » est possible. Certes, des épisodes célèbres restituent aux Noirs leur dignité, mais ils concernent surtout les Noirs des États-Unis. L'épisode bien connu des jeux olympiques de 1936, devenu symbole de résistance et infligeant à Hitler une retentissante humiliation, voit triompher deux Américains noirs, Jesse Owens, le plus célèbre, et Cornelius Johson : « Hitler quitte la tribune avant que ne soit joué l'hymne américain […] (16) ». Parmi les possibles échappatoires figurent le sport en général, le cirque et le cinéma. Mais le cinéma tel que conçu par les nazis n'améliore guère l'image des Noirs et leur estime de soi : il perpétue, dans les titres des films - « Tarzan bronzé » - les sempiternels clichés nauséeux. L'engouement de jeunes Allemands pour le jazz, considéré comme une musique « judéo-négroïde » par le ministre de la Culture, Joseph Goebbels, apporte cependant une note positive. Note qu'il convient de tempérer en rappelant que les jazzmen noirs déportés jouèrent pour les bourreaux, notamment à Terezin (17) où d'éphémères orchestres de jazz furent créés. Une image convoquée par l'auteur peut être évoquée : « […] une affiche de 1938, appelant à une exposition sur la "musique dégénérée" à Düsseldorf, montre avec ce gros titre un Noir à large chapeau haut-de-forme, au nez large écrasé et aux lèvres exagérément lippues soufflant dans un énorme saxophone. Sur le revers de sa veste, il porte une grande étoile de David et à l'oreille un anneau bien visible symbole d'homosexualité (18) ». Elle condense trois symboles de la haine nazie.

À partir de 1939, commence une politique de massacres. Les Noirs qui résident dans la France occupée en subissent les conséquences : des centaines de fusillés et, parmi eux, nombre de tirailleurs de l'armée française. Quelques voix s'élèvent dont celle de Jean Moulin refusant d'être complice des exactions de « sadiques en délire (19) ». Des Noirs sont internés dans des camps de concentration, commis aux besognes les plus basses, soumis aux palinodies des ordres reçus par leurs bourreaux : traités avec cruauté puis avec plus d'égard lorsqu'il importe de se démarquer de la politique américaine de ségrégation raciale. S'il est difficile, en raison du recensement par nationalité ou par catégorie, de déterminer exactement le nombre de Noirs internés (essentiellement issus des pays occupés par l'Allemagne nazie), peu de Noirs furent exterminés dans les chambres à gaz. Ceux qui ont survécu au nazisme ne reçurent aucune réparation après la victoire des forces alliées. La question noire fut minimisée, passée sous silence.

Au-delà de l'épisode particulier qu'elle retrace, Catherine Coquery-Vidrovitch engage une réflexion sur l'écriture de l'histoire reconnaissant l'affect qui lie le chercheur à son objet d'étude (20). Elle termine par un appel « aux jeunes chercheurs de l'Hexagone pour entreprendre [des] enquêtes [sur le sort des métis franco-allemands nés après la Libération de la France] (21) ». On retiendra la note ayant trait à l'ouvrage annoncé de Pap Ndiaye sur l'histoire des Noirs de France. L'on ne saurait conclure sans espérer que ce travail ne soit pas l'œuvre des seuls historiens, mais aussi des critiques et analystes de la littérature. Quelque « garde mémoire », tel celui de l'Association pour l'autobiographie et le patrimoine autobiographique (22), pourrait conserver des témoignages, des lettres, des autobiographies encore largement méconnus écrits par des Noirs et métis de France.

Véronique Bonnet, CENEL, Université Paris-XIII
Catherine Coquery-Vidrovitch, Des victimes oubliées du nazisme. Les Noirs et l'Allemagne dans la première moitié du XXe siècle, Le Cherche midi, 2007, coll. documents, 15 euros.

1. Signalons l'ouvrage de Joël Kotek, Le Siècle des camps, Paris, J. C. Lattès, 2000 et celui du cinéaste journaliste Serge Bilé, Noirs dans les camps nazis, Paris, Le serpent à plumes, 2005, à propos duquel Catherine Coquery-Vidrovitch note : « Son témoignage, percutant, qui a été entendu, est important, mais non dénué d'exagération militante. », p. 10.
2. Clarence Lusane, Londres, Routledge, 2002.
3. Düsseldorf, Droste Verlag, 1979.
4. Hans J. Massaquoï, William Morrow & Co inc, New York, 1999.
5. May Opitz-Ayim (éd), 1986. Catherine Coquery-Vidrovitch cite ces textes.
6. Op. cit., p. 9.
7. Sur ce thème, on peut se référer à l'ouvrage d'Ariane Chebel d'Appollonia, Les racismes ordinaires, Presses de la fondation nationale des sciences politiques, « La bibliothèque du citoyen », Paris, 1998.
8. L'Allemagne a colonisé le Togo et le Cameroun ainsi que le sud-ouest africain : actuelle Namibie.
9. Op. cit, p. 29.
10. CF ordre du 2 octobre 1904, note de bas de page 31, op. cit., p. 36.
11. Op. cit., p. 56.
12. Les pays mentionnés pratiquent la stérilisation durant la première moitié du vingtième siècle.
13. Le jeune homme mutilé est arrêté par la Gestapo et conduit à l'hôpital de Cologne, il est inculpé pour « haute trahison », op. cit, p. 89.
14. Ibid., p. 90.
15. Ibid., p. 100.
16. Ibid., p. 117.
17. À propos de Terezin, on peut se référer à la préface d'Alain Finkelkraut, « L'art à Terezin » in Ruth Klüger, Refus de témoigner. Une jeunesse, Paris, Éditions Viviane Hamy, 2003 (dernière édition). Le philosophe rappelle la situation du camp : « camp de transit surpeuplé, une vitrine pour la Croix-rouge de la solution allemande à la question juive et un maillon de la solution finale, il y avait des théâtres, des conférences, des expositions, des soirées poétiques, des concerts, des premières d'opéra », p. 7.
18. p. 122.
19. Op. cit., p. 145.
20. À ce propos, on peut consulter l'article de Catherine Coquery-Vidrovitch, « L'historien, la mémoire et le politique. Autour de la " question coloniale", Cultures Sud, n° 165, avril-juin 2007. « En qualité de citoyens, l'affect des historiens est engagé comme les autres dans l'histoire immédiate », p. 55.
21. Op. cit., p. 200.
22. APA : grenette@wanadoo.fr


lundi, juillet 30, 2007

La longue agonie des archives suédoise de Saint-Barthélemy

De l’annexe du traité portant rétrocession de l’île de Saint-Barthélemy par la Suède à la France, signé à Paris le 31 octobre 1877, le C.L.E (Comité de Liaison Economique de Saint-Barthélemy) n’aura jusqu’ici retenu que la première partie de son Article 3 : « La France succède aux droits et obligations résultant de tous actes régulièrement faits par la couronne de Suède ou en son nom pour des objets d'intérêt public ou domanial concernant spécialement la colonie de Saint-Barthélemy et ses dépendances. »; et pour cause : c’est bien là que se trouve la justification du statut d’exonération fiscale dont doit jouir l’île par excellence.

C’est pourtant sur la deuxième partie de ce célébrissime Article 3 que se penche aujourd’hui le C.L.A.S.H (Comité de Liaison et d’Application des Sources Historiques) : « En conséquence, les papiers et documents de toute nature relatifs auxdits actes qui peuvent se trouver entre les mains de l'administration suédoise, aussi bien que les archives de la colonie, seront remis au gouvernement français. » auquel il conviendrait de rajouter l’ Article 4 de ce même protocole réglementant la rétrocession de l’île de Saint-Barthélemy à la France : « La reprise de possession de l'île de Saint-Barthélemy et de ses dépendances au nom de la France et la remise des titres et archives prévue par l'article précédent seront effectuées le plus tôt possible après l'échange des ratifications du Traité de rétrocession... »

Ainsi donc, le 16 mars 1878, les archives de l’administration suédoise de Saint-Barthélemy (1784-1878) furent remises à la France en même temps que l’île et laissées sur place. Nul ne pourrait donc nier l’importance de ces précieux documents, connus de la postérité sous l’appellation de « Fonds suédois de Saint-Barthélemy », mais dont l’histoire, fascinante et chaotique, qui va être rapportée ici, pourrait à terme voir près de la moitié de ces archives retourner poussière sans nous laisser plus de traces.

Dans le Journal officiel de la Guadeloupe en date du 11 septembre 1913, une ordonnance datée du 2 septembre fut publiée concernant les archives suédoises de Saint-Barthélemy : le gouverneur français, Emile Merwart, ayant visité l’île, avait constaté qu’aucun inventaire n’avait été fait des archives suédoises de Saint-Barthélemy. Il fut donc ordonné que celui-ci soit dressé et que les documents soient conservés à la mairie de Gustavia, dans des locaux fermant à clé. Une commission, désignée par le gouverneur de la Guadeloupe, fut chargée du travail. Il n’est pas sûr que ces instructions donnèrent lieu à un quelconque inventoriage : aucune trace écrite n’ayant par la suite été retrouvée; d’ailleurs le contraire eut été étonnant puisque ce fonds d’archives, particulièrement dense et complexe, contient des documents dans les trois langues : anglais, français et suédois.

Début 1932, le chef de l’autorité judiciaire de la Guadeloupe visita Saint-Barthélemy. Il fut très surpris d’apprendre que ce qu’il décrivait lui-même comme « les très importantes archives de l’ancienne administration suédoise » se trouvaient toujours à Gustavia. Dès son retour à Basse-Terre, il écrivit une lettre, datée du 11 février, au juge de paix de Saint-Martin et Saint-Barthélemy, lui enjoignant de se mettre en rapport avec le maire de Saint-Barthélemy, le docteur Tara, pour faire en sorte que les archives suédoises soient transférées en Guadeloupe. Tout devrait être mis en œuvre pour cela, du fait de leur importance; et c’est ainsi que le 18 mars 1932, 8 caisses pour un total de 962 kg et 2 159 pieds cube furent embarquées à bord du vapeur Antilles en direction de la Guadeloupe. L’archiviste suédois Björn Lindh évoquera en 1974 la présence dans le volume n° 325 d’un registre provisoire datant de 1932 ; celui-ci aurait donc été établi à l’occasion de ce premier transfert.

Difficile de savoir avec exactitude ce qu’il advint dans un premier temps des documents qui auraient tout d’abord été entreposés dans une ancienne école; puis, lorsque le guyanais Felix Eboué fut nommé gouverneur de la Guadeloupe en 1936, son ami Léon Bassières, qui l’accompagnait lors son arrivée, eut la charge de s’occuper des archives présentes en Guadeloupe et c’est ainsi que ce dernier éditera une brochure concernant le fonds suédois en 1937. Les Archives de la Guadeloupe se voyant attribués les locaux d’une ancienne caserne après la deuxième guerre mondiale, c’est là, dans un des bâtiments en arrière de la préfecture de Basse-Terre que fut finalement stocké, on ne sait quand, le fonds suédois de Saint-Barthélemy. Malheureusement, en 1955, un court-circuit mit le feu au bâtiment. Les archives françaises furent sérieusement endommagées mais le fonds suédois échappa aux flammes, mais fût par contre victime de l’eau que projetèrent les pompiers afin de circonscrire l ‘incendie, puis, paraît-il, des cabris, qui se seraient délectés de quelques contrats de mariage ou autres ordonnances royales du 18ème siècle lorsque les documents furent éparpillés autour de la caserne pour les sécher à l’air libre. Une fois secs, les documents furent de nouveaux emballés, attachés et rangés non sans avoir subi au préalable une petite pulvérisation de dichlorodiphényltrichloroéthane pour les préserver des insectes, DDT qui finira par se durcir dans le temps et abîmer plus encore le papier fragile; il convient d’évoquer de même le taux d’humidité ambiante très élevé dans cette région du monde et qui n’aura probablement pas eu une action bénéfique dans des locaux dépourvus de toute aération. [ce qui fît écrire à l’amiRAL, grand spécialiste du détournement de fonds : le Fonds suédois de Saint-Barthélemy a les mêmes ennemis que l'homme : le feu, l'humide, les bêtes, le temps...et son propre contenu." ( humour :o) )]

Lorsque le journaliste américain, d’origine suédoise, Rolf Lamborn embarque de Miami en février 1961, avec son épouse Florence, pour le Surinam, l’objet de leur étude est, pour quelques mois : les « Bush Negroes », descendants d’esclaves qui ont maronné vers les forêts intérieures fin 17ème début 18ème siècle. Profitant de l’opportunité qui leur était offerte par les compagnies aériennes d’alors, ils ont programmé pas moins de 16 escales sur leur itinéraire à travers les îles antillaises. Leur voyage va pourtant s’arrêter dès leurs premières étapes, et pour longtemps, à cause d’une petite île oubliée de la Mer des Caraïbes. De Saint-Martin, M. Rémi de Haenen les déposa à Saint-Barthélemy où leur principal intérêt était de retrouver les traces de l’époque suédoise. Comme aux officiers des navires de guerre suédois de passage qui avaient précédemment posé la question sur demande expresse de leur autorité Il leur fût répondu en mairie qu’il ne restait rien ici et que les documents avaient été transférés en Guadeloupe mais qu’ ils avaient été détruit par un incendie soit qu’ils étaient de toute façon perdus. Lors de leur passage en Guadeloupe, il décidèrent quand même de mener leur petite enquête sur ces archives suédoises disparues; L’archiviste Maurice Nicholas, tout fraîchement débarqué de Martinique avec pour mission de remettre un peu d’ordre dans le chaos dans lequel se trouvaient les archives de Guadeloupe depuis plusieurs années, les conduira vers une grande salle sombre sans ouverture où naguère les soldats retrouvaient leurs lits de camp et voilà donc comment, en 1961, les archives suédoises de Saint-Barthélemy allaient ressortir de l’ombre où elles étaient plongées depuis 1878, une épopée dont le premier volet est retracé dans un article intitulé « The archives of Saint Bartholomew rediscovered » publié en janvier 1964 dans la revue The Swedish Pioneer signé Rolf K. Lamborn (décédé il y a une vingtaine d’année) et largement repris ici.

Les quelques 200 000 feuillets découverts dans les 265 liasses qui représentaient environ 23 mètres de linéaires d’étagères n’étaient en réalité qu’une partie du fonds suédois de Saint-Barthélemy, car l’autre partie se trouvait encore…à Saint-Barthélemy. C’est le Père Le Gallo, à Vieux-Fort, qui mit les Lamborn sur cette voie : il avait officié 4 ans durant à Saint-Barth (il est notamment l’auteur d’un recensement par famille fait pour la paroisse de Lorient, de case en case, vers 1953) et il savait qu’un certain nombre de documents suédois se trouvaient non pas à la mairie mais dans le palais de justice, « one of the only two Swedish government buildings still preserved » comme l’a écrit Rolf Lamborn en 1963...Et c’est effectivement quelques 75 000 feuillets datant de l’époque suédoise qui seront retrouvés là, sous poussières et excréments de ravets, puis aussitôt expédiés en Guadeloupe en compagnie d’autres documents datant d’avant la période suédoise. La raison de cet « oubli » est fort simple : ces documents étaient sous la juridiction du juge et donc en dehors du contrôle de la municipalité; le juge, qui siégeait à Marigot (Saint-Martin), ne venait qu’exceptionnellement à Saint-barthélemy et n’aurait jamais vraiment porté attention à ce qui se trouvait dans son Palais de Justice.

Pendant de longues semaines, les archives suédoises ainsi réunies feront l’objet d’un premier classement : elles consisteront désormais en 327 liasses (dont 114 concernent les Procès-verbaux de Justice) contenant chacune de 800 à 1000 feuillets. Néanmoins Rolf Lamborn avoue qu’un important travail reste à faire avant qu’elles puissent faire l’objet d’un microfilmage. Les Archives Nationales de Suède, par la voix de leur directeur, le Dr Ingvar Andersson, exprimeront le souhait que celui-ci soit accompli et une subvention de 10 000 couronnes suédoises leur fut par ailleurs versée dans ce but par la fondation « Gustav VI Adolf 80’s birthday », aux noms de Rolf Lamborn et des Riksarkivet, le 27 mars 1963. Rolf Lamborn conclut alors qu’il espère que cette subvention sera complétée afin qu’il puisse assurer lui-même le microfilmage qui, selon lui, devrait prendre 8 mois et pour lequel il s’estime le mieux placé étant donnée sa bonne connaissance du fonds suédois de Saint-barthélemy. En vérité, le retour de M. Rolf lamborn aux Archives Départementales de la Guadeloupe n’est pas vraiment souhaité et d’ailleurs il n’eut jamais lieu : leur directeur jusqu’en 1994, M. Jean-Paul Hervieu, se souvient qu’à sa prise de fonction en 1964 son personnel n’avait pas une très grande estime des Lamborn ; M. Brändström est encore plus catégorique : des documents de grande valeur portant le sceau royal suédois auraient tout bonnement disparu et certains auraient même fait leur réapparition sur le marché noir ! C’est sans doute pourquoi, deux ans plus tard, rien n’aura encore été entrepris puisque dans l’édition n° 8 de la revue Arkiv, Samhälle och Forskning datée de 1965 le Dr Ingvar Andersson est l’auteur d’un article de 7 pages intitulé «Arkivalier från S:t Barthélemys svenka tid» [Les archives de la période suédoise de Saint-Barthélemy] dans lequel il exprime son espoir de voir un jour se présenter l’opportunité, en accord avec les Archives de France, de la mise en oeuvre du microfilmage du fonds suédois.

Quitte à citer cet article du Dr Ingvar Andersson, basé sur ces échanges avec Rolf Lamborn et probablement aussi sa publication de 1964 « The archives of Saint Bartholomew rediscovered », il serait intéressant de faire remarquer qu’ils mentionnent tous deux Charles H. Robequain, qui a visité Saint-Barthélemy en Juillet-Août 1947 et qui a publié par la suite « Saint Barthélemy, terre française » (1949) pour expliquer que ce dernier avait recherché en vain, en Guadeloupe, le fonds suédois…Il se trouve cette petite note en bas de page 859 du chapitre consacré à Saint-Barthélemy dans le tome 2 de l’ouvrage « La Guadeloupe » par M. Guy Lasserre : « Aux Archives départementales de Basse-terre, existent de nombreuses liasses suédoises. Nous devons à M. Fortuné d’avoir pu les consulter en 1948, sans d’ailleurs pouvoir en tirer profit, par ignorance de la langue suédoise. Nous avons émis un vœu auprès du Service des Archives pour que ces documents soient transférés aux Archives nationales où des historiens familiarisés avec le suédois pourraient les dépouiller » : cette thèse a été publiée à Bordeaux en 1961, l’année même où le couple Rolf et Florence Lamborn a donc "redécouvert" les archives de Saint-Barthélemy.

La question du microfilmage en est donc à ses premiers balbutiements et c’est ainsi qu’en 1967 un jeune chercheur universitaire suédois du nom, déjà mentionné, de Dan Brändström, au fait que le fonds suédois de Saint-Barthélemy se trouvait aux Archives départementales de la Guadeloupe de par ses lectures de l’histoire coloniale de son pays (une publication suédoise en fait état dès 1938) et qu’il avait en outre entendu une interview du couple Lamborn à ce sujet à la radio nationale suédoise en 1964, eut l’idée d’étudier et microfilmer ces précieux documents et débarqua bille en tête et fleur au fusil à Basse-Terre avec tout son équipement. Il s’ensuivit un échange de lettres entre le directeur général des Archives Nationales de Suède, M. Kromnow, le directeur général des Archives de France, M. Chamson et le directeur des Archives départementales de la Guadeloupe, M. Hervieu, où M. Kromnow demanda l’autorisation pour ce microfilmage. C’est en octobre que le travail put commencer et Dan Brändström microfilmera 9 bobines, avec l’aide de M. Hervieu, touchant aux séries 136-138 (Procès-verbaux de Justice), 285-286 (Esclavage), 287 (Etat-civil) et 292-293 (Recensements). Ces microfilms furent par la suite remis aux Archives Nationales de Suède (Riksarkivet). Agé de 26 ans, Dan Brändström bénéficiait alors d’une bourse et d’un délai de trois semaines qui allaient vite se révéler insuffisant pour entreprendre cette tâche correctement; il n’était pas rompu au travail en archives et se retrouver devant la complexité d’un linéaire de 33 mètres de liasses insuffisamment classées se révéla vite être un handicap insurmontable. Ayant réalisé l’ampleur considérable du travail qu’il fallait effectuer le jeune chercheur prit la décision de rentrer en Europe non sans avoir laissé en Guadeloupe, avec l’aval de la société auprès de laquelle il avait pu le louer à moindre frais, le matériel de microfilmage. Il fit alors paraître un article intitulé « Det svenska arkivet i Västindien » [Les archives suédoises dans les Antilles] dans le n° 301 du journal Västerbottens-Kuriren le vendredi 28 décembre 1967 qui traite en particulier du système scolaire de Saint-Barthélemy à l’époque suédoise et appelle à ce qu’il soit accordé à un boursier spécialisé en histoire la possibilité de se rendre en Guadeloupe pour mener à terme le classement des documents, et en particulier ceux de langue suédoise. Il essaya également de convaincre les Archives de Suède d’expédier quelqu’un à Basse-Terre pour tirer profit de l’équipement laissé là bas; malheureusement, bien que ceux-ci aient finalement débloqué la subvention de la Fondation Royale, sur demande de M. Rolf Lamborn, pour la poursuite de son travail, le projet n’ira pas plus loin et le jeune homme dut rapatrier en Suède, et à ses frais, les 200 kilos de matériel au printemps 1968. Dan A. Brändström était jusqu’en fin d’année dernière, date à laquelle il a pris sa retraite, le directeur du Riksbankens jubileumsfond ( The Bank of Sweden Tercentenary Foundation.)

M. Hervieu, directeur des Archives départementales de la Guadeloupe, avait donc eu la démonstration de l’inconvénient de microfilmer des documents mal classés et sans inventaire. Cet avis fut confirmé par M. Gandilhon, conservateur en chef des Archives de France, chargé de mission d’inspection en décembre 1967 qui concluait : « …il semble inopportun de laisser microfilmer en son état actuel le fonds de Saint-Barthélemy, mais utile pour la France d’en assurer classement et inventoriage, par envoi aux Archives nationales. » : le vœu émis par M. Guy Lasserre 19 ans plus tôt allait donc se réaliser !

M. Hervieu embarqua le fonds suédois de Saint-Barthélemy, dans 11 grandes caisses de bois, à bord du croiseur porte-hélicoptères Jeanne d’Arc vers Brest en 1971. Il était tout d’abord question de le déposer au Centre Culturel Suédois à Paris, seule représentation à l’étranger de l’Institut Suédois de Stockholm, mais suite au changement de directeur des Archives de France, M. Duboscq ayant remplacé M. Chamson, le fonds fut finalement transféré au Dépôt des archives d’outre-mer à Aix-en-Provence après quelques mois d’errance en Bretagne. Ce furent en fait les premières archives d’Amérique à être entreposées à Aix-en-Provence car le Dépôt des archives d’outre mer, qui deviendra plus tard le Centre des archives d’outre-mer, ne contenait alors que des pièces en provenance des colonies françaises en Afrique : les archives d’outre-mer étant habituellement stockées à la Section outre-mer des Archives nationales, rue Oudinot à Paris. L’année suivante, en 1972, la Direction des Archives de France demanda à son homologue suédois de nommer un archiviste de langue suédoise afin d’effectuer classement et inventaire. C’est M. Björn Lindh, malheureusement décédé en août dernier, alors conservateur aux Archives de Lund, qui sera désigné; il remet la traduction française de son répertoire numérique en 1973.

Le microfilmage débute la même année, aux frais du Dépôt des Archives d’outre mer, et des copies sont livrées, à titre onéreux, aux Archives Nationales de Suède. Il est impossible aujourd’hui de savoir avec précision ce qu’il est finalement advenu de la subvention des 10 000 couronnes suédoises, mais le sentiment général aux Rikarkivet est qu’elle aurait été versée en France à la société chargée du microfilmage, probablement le Dépôt des Archives d’outre mer lui même, aucune société extérieure n’est intervenue, le microfilmage a été réalisé en interne parfois avec l’aide du Centre national du microfilm d’Espeyran.

Ce qui est sûr en revanche c’est que le fonds suédois de Saint-Barthélemy ne sera pas microfilmé dans son intégralité pas plus qu’il ne sera ré-expédié en Guadeloupe malgré la promesse qui avait été faite par le précédent directeur des Archives de France, M. Chamson, au directeur des Archives Départementales de Guadeloupe, M. Jean-Paul Hervieu; c’est ainsi que 148 liasses sur le total des 327 ne seront pas microfilmées.

Selon M. Jacques Dion du Service Archives nationales d'outre-mer de la Direction des Archives de France « le microfilmage se sera effectué dans des conditions difficiles et au détriment d’autres tâches tout aussi urgentes. L’archiviste a noté : "Impossibilité de restaurer certaines liasses. En effet leur papier semble avoir subi une évolution chimique telle qu’il combat l’action de l’acétone" .» Officiellement, id est d’après le Tome III (Marine et Outre-mer) de l’État Général des Fonds édité en 1980 par les Archives Nationales : « l'état de dégradation du papier et des encres, conséquence du climat tropical, déconseillant le retour à la Guadeloupe de ces documents fragiles, les Archives Nationales les ont accueillis dans leur dépôt d’Aix-en-Provence ». Le Centre des Archives d’outre-mer (CAOM, devenu officiellement ANOM [Archives nationales d’Outre-mer] depuis le 1er janvier 2007) qui conserve donc « provisoirement » ces archives de l’île de Saint-Barthélemy (comme stipulé noir sur blanc dans l’inventaire des microfilms à destination du public) fût inauguré à Aix-en-Provence en 1966 alors que se construisait en parallèle un pôle universitaire avec un important secteur Sciences Humaines; une implantation qui ne devait donc rien au hasard et qui s’inscrivait dans une dynamique de recherches, mais ce n’est que vers la fin des années 80 qu’y furent transférés les archives "des Amériques" de la section outre-mer de la rue Oudinot.

Toujours selon le Service Archives nationales d'outre-mer « Il semble aujourd’hui que les Archives de France ont su préserver un fonds dont l’état initial était et reste préoccupant mais en tous cas stabilisé. » Il n’en reste pas moins que les archives de France se montrent aujourd’hui plutôt discrètes sur certains passages de l’historique du fonds suédois de Saint-Barthélemy et notamment sur les raisons pour lesquelles le travail de microfilmage sera resté inachevé.

Voilà comment le Service Archives nationales d'outre-mer de la Direction des Archives de France décrit aujourd’hui les originaux des 327 liasses qui constituent le fonds d’archives : « extrêmement fragiles : papier cassant et noirci, encre acide. Actuellement, le maniement des liasses est quasi impossible. Seul un important travail de restauration (long et coûteux) permettrait de reprendre le microfilmage. »

Dans l’édition n° 16 de la revue Arkiv, Samhälle och Forskning parue en 1974 l’archiviste suédois Björn Lindh dans un article de 5 pages intitulé «Det svenka S:t Barthélemy-arkivet» [Les archives suédoises de Saint-Barthélemy] fait pourtant la constatation suivante : « Ceci dit, on peut dire d'une manière générale au sujet de ces archives que seuls quelques documents isolés ont besoin d'une restauration avant d'être microfilmés. »

La liste des séries non microfilmées, fournie par le CAOM, est la suivante :

- Manifestes (M) 1-58
- Comptes (C.P.) 73-124
- Décrets et proclamations (L) 134-135
- Journaux et listes (PJT) 136-139
- Navigation (AM) 265-275bis
- Naturalisations (N) 276-280
- Etat civil (E) 287-291 5
- Recensements (P.O.) 292-293
- Cultes (R) 294-295
- Divers (D) 296-300bis
- Documents non indexés 325

Ces séries présentent un intérêt incontestable : en 1978, le Dr Jean Benoist, alors directeur du Laboratoire d'écologie humaine à Aix-en-Provence et professeur à l'Université de droit et d'économie à Aix et également professeur au département d'anthropologie à l'université de Montréal, a fait photocopier un certain nombre de listes nominatives aux Archives d'Outre-mer. En 1982, alors que commençait le dépouillement, l'informatisation, et la vérification des listes nominatives photocopiées, la professeure canadienne Francine Mayer, lors d'une visite à Aix-en-Provence, a pu voir ces listes alors recouvertes d'une pellicule transparente afin les protéger ; ce sont les fonds canadiens de recherche du Dr Benoist qui ont contribué financièrement à cette protection des documents. Mme Mayer se souvient avoir pu voir d'autres listes nominatives qui provenaient, selon elle, de la boîte PO 293. Elle voulu en obtenir photocopie en 1987, lors d'un colloque à Aix; aux archives d'Aix on lui a alors déclaré ne pas les trouver. Une agente de recherche de passage à Paris en 1988 pour un séminaire sera envoyée vérifier aux Archives d'Outre mer si ces listes étaient réapparues..."nenni". Les équipes canadiennes achèteront par la suite les microfilms des archives suédoises. En 1998, les linguistes français Louis-Jean Calvet et Robert Chaudenson exprimeront leurs regrets dans «Saint-Barthélemy : une énigme linguistique» de ne plus pouvoir avoir accès à ces séries Recensements (P.O.) 292-293 au Centre d’Archives d’Aix-en-Provence. De même, le professeur suédois Rolf Sjöström explique avoir bénéficié de la complaisance du CAOM en 1995 pour pouvoir consulter certains documents, non accessibles au public, dans le cadre du projet de 1993-1999 « Utbildning och kolonialism: Svenska undervisningsprojekt i Torne Lappmark och Nya världen på 1700- och 1800 talen » [Education et colonialisme : projets scolaires suédois en Laponie et dans le nouveau monde au 18ème et 19ème siècles] où il s’est intéressé au cas de Saint-Barthélemy. Dans une présentation datant de 2003 et téléchargeable en ligne depuis 2005 sur le site internet de la bibliothèque universitaire d’Umea il précise : « De grandes parties du fonds sont malheureusement en piteux état. Un des volumes d'archives ne fut accessible que grâce à la complaisance particulière de la direction des archives, tandis qu'un autre volume clé se révéla inexploitable, car le document était en train de se désagréger en petits morceaux.

Il conviendrait d'entreprendre rapidement quelque chose pour les restaurer et les mettre sur microfilm. Ce n'est pas l'intérêt qui manque, mais il est difficile de trouver quelqu'un qui veuille bien payerIl convient peut-être de relativiser les propos de Rolf Sjöström lorsqu’il écrit que « De grandes parties du fonds sont malheureusement en piteux état» car au contraire de Lamborn, Brändström et Lindh, il n’a pas eu accès à l’intégralité du Fonds et ne peut donc se référer qu'aux informations que lui en a communiqué le Centre d'Archives d'outre-mer d'Aix-en-Provence. Si certaines liasses sont probablement aujourd’hui effectivement difficilement récupérables ( par exemple dans les séries Etat civil (E) ) il n’en reste pas moins que d’autres pourraient pourtant bien être sauvées par microfilmage et un certain nombre sans restauration préalable. D’autant plus qu’une série comme la série Procès-verbaux de finances (PF), 14 volumes : 59-72, décrite dans l’article de M. Dr Ingvar Andersson en 1965 comme « delvis vattenskadade » (partiellement endommagée par l’eau) n’apparaît pas dans la liste des séries non microfilmées. On remarquera aussi que certaines séries microfilmées par Dan Brändström en 1967 sont considérées comme non-microfilmées par le Centre d’Archives d’Outre-mer : soit que les Archives de France ne sont pas au courant de l’existence de ces microfilms, soit que les Archives de France n’estiment pas utile de se procurer les microfilms de ces séries dont ils assurent pourtant la conservation des originaux. Il serait donc fort souhaitable de pouvoir disposer d’un inventaire détaillé et aussi précis que possible quant à l’état exact de ces documents restant à microfilmer.

Le Comité de Liaison et d’Application des Sources Historiques souhaitait par exemple aujourd’hui avoir accès aux 59 volumes « Manifestes » dans le cadre de ses recherches sur la traite négrière à Saint-Barthélemy : la série M renferme en effet des informations concernant les navires et leur cargaison dans le port de Gustavia à partir de 1805; Malgré l’appui du directeur du « Wilberforce Institute for the study of Slavery and Emancipation » de l’université de Hull au Royaume-Uni, le CAOM a dissuadé le haut responsable du C.L.A.S.H d'une démarche inopportune et vouée
à l'échec tout en précisant quelque peu vaguement qu’ « un examen par des spécialistes de la restauration pourrait peut-être avoir lieu compte-tenu de l’amélioration des techniques depuis l’époque du microfilmage. »

Mais c’est au détour du tout nouveau « Guide des sources de la traite négrières, de l’esclavage et de leurs abolitions » publié par la Direction des Archives de France que l’histoire du fonds suédois de Saint-Barthélemy renaît une nouvelle fois : 11 registres contenant "plusieurs actes relatifs à des armements de navires dont certains sont faits pour la traite ainsi que de nombreuses autres notations relatives à l’esclavage" avaient été expédiés à Washington en 1886. Ces registres ont donc été tiré du fonds suédois directement à Saint-Barthélemy peu après la rétrocession. Ce transfert faisait suite aux demandes de dédommagements des marins des bâtiments neutres américains demandés par le gouvernement des Etats-Unis en 1831 suite aux attaques des corsaires armés par Victor Hugues trente cinq ans plus tôt durant la quasi-guerre ; l’affaire traînant en longueur, le greffier en chef du tribunal de Basse-Terre, M. Léon Belmont, va donc expédier directement à Washington, et ce pour une durée théorique de deux ans, des documents originaux dont ces 11 registres, "pour faire bonne mesure" comme écrit dans le Guide mais plus sûrement en raison du rôle joué par Saint-Barthélemy pendant la période révolutionnaire aux Antilles et des relations entretenues par Victor Hugues avec le gouverneur suédois Bagge; ces documents oubliés, redécouverts à l’ambassade de France, à Washington, seront ré-expédiés vers Paris aux Archives Nationales en 1958 suite aux démarches de Mme Ulane Bonnel, puis retournés à Bisdary (Gourbeyre) aux Archives Départementales de la Guadeloupe en 1988 à la demande de leur directeur, M. Hervieu.

Pour reprendre la description extrait du Tome III (Marine et Outre-mer) de l’État Général des Fonds édité en 1980 par les Archives Nationales, « Le fonds de Saint-Barthélemy est intéressant non seulement pour l'histoire de cette petite île, mais aussi pour celle des Antilles et celle de l'administration coloniale suédoise. » et pour conclure, la définition du Conseil international des Archives : « les archives constituent la mémoire des nations et des sociétés; elles fondent leur identité et sont un élément clé de la société de l’information. En témoignant des activités menées et des décisions prises, elles assurent à la fois la continuité des organismes et la justification de leurs droits, ainsi que de ceux des individus et des États. Parce qu'elles garantissent l'accès des citoyens à l'information administrative et le droit des peuples à connaître leur histoire, les archives sont essentielles à l'exercice de la démocratie, à la responsabilisation des pouvoirs publics et à la bonne gouvernance. » Est-ce donc ainsi que Saint-Barthélemy entend laisser défendre ce patrimoine ? pour mieux envisager son avenir ? La collectivité d’outre-mer de Saint Barthélemy s’est officiellement substitué à la commune de Saint-Barthélemy, au département et à la région de la Guadeloupe le 15 juillet 2007; en application du code du patrimoine et du code général des collectivités territoriales, il lui incombe donc désormais d’assurer la conservation de ses archives mais aussi leur mise en valeur, dans un bâtiment ouvert au public. L’île pourrait rapatrier ses dépôts des Archives Départementales de la Guadeloupe mais que réserve t-on au juste au précieux fonds suédois de Saint-Barthélemy ?

l’amiRAL du C.L.A.S.H…sur l’île de Nantes.

avec la collaboration de M. Rolf Sjöström, M. Dan Brändström, M. Göran Larsson, M. Örjan Romefors, Mme Ingrid Eriksson Karth, Mme Hélène Servant, M. Jacques Dion, Mme Evelyne Camara, M. Jean-Paul Hervieu, M. David Richardson, Mme Francine Mayer, et M. Jean Benoist.